de Hong Sang-soo (Corée 2022)
avec Hae-hyonKwon, Hye-Young Lee, Song Seon-mi
Argument: Byungsoo, un réalisateur célèbre, accompagne sa fille chez une amie de longue date, propriétaire d'un immeuble à Gangnam. La visite des lieux entraîne pour lui un voyage hors du temps où se dessinent, à chaque étage, ses amours passées et à venir
On connaît la prédilection du cinéaste pour les " intermittences du cœur", on connaît sa façon de filmer : dispositif resserré, peu d'acteurs, caméra souvent fixe, décors banals, importance accordée aux repas, à la prise d'alcool et à la "parole" (de sujets anodins on peut glisser subrepticement vers des interrogations plus existentielles)
Walk-up radicalise tout cela (au grand dam de certains spectateurs) . Et d’abord en ce qui concerne le montage ; chaque partie, - il y en a 4-- sera un plan-séquence, des ellipses temporelles sans encart informatif (mais avec des "repères" : un thème musical au début, puis suivant la déambulation du locataire/créateur/rêveur "changements apparents" de mobilier ou encore ce moment de désynchronisation : allongé Byungsoo entend sa voix et celle de sa femme en off, avant que ses lèvres n'esquissent un léger mouvement; rêve ou réel ?) (au spectateur de « raccorder » ou non) .
Le décor ? Un seul lieu : un immeuble ou plutôt son intérieur (un seul plan sur la façade et une vue en contre plongée sur la terrasse ; rares plans d’extérieur ; alors que la bande son insuffle la rumeur de la ville) ; un intérieur compartimenté en restaurant et appartements auxquels on accède par cet escalier en colimaçon (dont on devine toutes les connotations). Le locataire va passer de l’un à l’autre comme il passe allègrement d’une temporalité à l’autre, de la réalité au rêve, du rêve au fantasme, du vécu à la "création" et ce "décor" avec ses portes ouvertes entrouvertes ou fermées se prête aux configurations mentales, au "voyage intérieur" avec ses inévitables conflits, regrets et/ou désirs. Un immeuble ravagé, sous de trompeuses apparences, par des nuisances matérielles (dont cette fuite d’eau jamais colmatée) Un immeuble qui métaphorise l’être dans son entièreté ? délabrement physique (les problèmes évidents de santé, tabagisme, alcoolisme et sevrage difficile) et mental (mais de quelle « maladie » souffre le personnage ?)
A chaque moment de la vie (re)visité(e) inventé(e) est associée la fréquentation d’une femme (mais la propriétaire des lieux sera omniprésente, guide intrusive, gardienne de la mémoire ??)
Le choix du noir et blanc (sublime, digne d’une estampe dans after day ) semble ici homogénéiser l’aube et le crépuscule en une seule temporalité (hormis l’instant furtif où se profile l’ombre crépusculaire)
Souveraine et logorrhéique, avec ses banalités, ses boutades, ses afféteries, ses satires, ses exultations, agrémentées ou non de fous rires, la parole pourra dérouter tant elle contraste avec les ellipses, tant elle est souvent avinée ; l’alcool est -rappelons-le- devenu « motif » dans la filmographie du cinéaste- désinhibant il peut aussi combler les vides existentiels
C'est la fille qui ouvre le film, la fiction et donc la porte des réminiscences. Or différenciant l'homme et l'artiste, elle dira sans ambages à son interlocuteur(rice) l'immaturité et les dépendances néfastes du père! Simultanément, après avoir déclaré en finir avec le cinéma, le père va trouver, au dernier étage, une forme d’apothéose (à la fois créatrice et amoureuse)
Rêve ? fantasme ? souvenir ?
Avec Walk-up, Hong Sang-soo aura transformé, une fois de plus , une évidente banalité en sublime création!
Raison suffisante pour ne pas rater ce film (quand bien même il ne serait pas le plus convaincant)
Colette Lallement-Duchoze