Documentaire réalisé par James Ivory et Giles Gardner (Grande-Bretagne 2022)
Outre la voix de James Ivory, celles de Giles Gardner (EM Forster) et d' Umar Aftab (Babur)
musique Alexandre Desplat
En 1960, le cinéaste James Ivory s'est rendu en Afghanistan pour tourner des scènes destinées à un film documentaire. Le film n'a jamais été réalisé, et les images sont restées enfermées dans une malle pendant 60 ans. En 2022, à l'âge de 94 ans, il a décidé de se plonger dans ce matériel unique pour se remémorer sa jeunesse et comprendre ainsi comment ce voyage improbable loin de sa petite ville américaine de l'Oregon a contribué à former le célèbre cinéaste qu'il est devenu.
Un va-et-vient constant entre le passé (Inde, Afghanistan, Oregon natal) et le présent (dans cet espace clos de la mémoire, incarné par ce bureau encombré de cartons, de livres, d’affiches), entre passé proche intime et passé plus lointain et historique. Le titre originel A Cooler Climate serait plus proche du vécu : ne supportant plus la chaleur de l’Inde, James Ivory s'est rendu à Kaboul au climat plus agréable, en cet été 1960; il y réalisera un autre documentaire.
Un été afghan a certes les accents d’une autobiographie mais consiste surtout en une traversée des apparences ; traversée qui mêle photos (parents, la scierie paternelle, lui-même à différents âges de sa vie) images d’archives (extraits des documentaires jusque-là inédits) et biographie illustrée de Babur-Nama; ce prince (1494- 1529) fondateur de l’empire moghol. déifié par les superbes miniatures, avec lequel James Ivory se découvre d’incroyables accointances à 5 siècles d’écart . Et quand la lecture de Babur croise celle de Proust (du côté de chez Swann lu à Bamian devant les grands bouddhas) c’est bien un regard subtil qui met en exergue l’homosexualité.
En évoquant sa rencontre à New York avec le producteur Ismail Merchant (né à Bombay en 1936) il rend hommage à son collaborateur et compagnon (mort en 2005) : le documentaire devient l’élégie des « voix chères qui se sont tues »
La musique de Desplat (peut-être un peu envahissante) accompagne le commentaire (voix off du nonagénaire)
Une chose est de constater un entrelacement (avec des raccords parfois cut) de temporalités différentes avec leurs histoires singulières, une autre est de suggérer -tout en la rendant très palpable- la permanence dans l’impermanence : dire et montrer que Kaboul n’est plus la même à plus de 50 ans d’intervalle serait un truisme si James Ivory ne chorégraphiait un lieu avant tout dépositaire de toutes ses rencontres (il a 30 ans quand il réalise le documentaire et plus de 90 quand il se penche sur son passé) : rencontre avec un pays, rencontre avec une histoire, une mythologie, rencontre avec son homosexualité, rencontre avec soi-même
Plus de 60 ans après ces surgissements c’est le moi proustien qui se donne ainsi à voir
Un documentaire à ne pas manquer (même si par moments la trop grande importance accordée aux commentaires en altère la portée)
Colette Lallement-Duchoze