Documentaire réalisé par Sylvestre Meinzer (2022)
Derrière l’image tranquille des paysages, d’une nature sereine et des scènes de la vie ordinaire, des voix d’anonymes apparaissent et se répondent. Elles racontent ce moment de l’histoire où, revêtu.e.s d’un gilet jaune, des femmes et des hommes se sont rassemblé.e.s pour exprimer leur colère et leur détermination à changer de monde. Le film « Les voies jaunes » est une quête de cette mémoire frémissante, sur une ligne grondante qui va du Havre à Marseille
Loin des images dont la presse télévisuelle nous a abreuvés en mettant en exergue la violence d’une foule déchaînée, loin des critiques négatives répétées ad nauseam par de prétendus spécialistes et politologues improvisés, nous voici au cœur d’une réalité qui fait entrer en résonance des témoignages (voix off) et des images (où s’imposent plans fixes et plans séquences, paysages et scènes de la vie quotidienne où les témoignages ont été recueillis). Désynchroniser la voix et l’image tel fut le parti pris de Sylvestre Meinzer au montage. (Elle avait recueilli 35h de témoignages des Gilets jaunes lors de leurs assemblées, avait sillonné la France du Havre à Marseille)
Regarder ce documentaire exceptionnel c’est « comprendre de l’intérieur » (nous entendons les motivations les questionnements les attentes les critiques de ceux qui ont rejoint le mouvement né le 15 novembre 2018, mouvement qui aura marqué de façon indélébile leur vie), et simultanément c’est prendre le temps de « contempler » une France essentiellement rurale, ou semi -rurale. Certes le film s’ouvre sur l’activité portuaire du Havre (en filigrane on devine la critique d’une forme d’industrialisation…) et certaines prises de vue renvoient au monde urbain, mais ce qui s’impose à notre regard ce sont ces vastitudes de verdure et de blondeur, ces ciels tourmentés ou azuréens, cette vie animale (animaux domestiques et fermiers, dont ces bovines filmées en frontal de profil ou de dos grégarisées ou isolées ; ou ce porc qui se délecte dans la boue) ces activités de la terre etc. Une façon de filmer qui n’est pas sans rappeler celle de R Depardon. Une école du regard !
Si la colère n’est pas « illustrée » par des images choc elle est bien présente dans la parole de ceux qui ont subi les outrages (répression éhontée) mais aussi en écho avec des images si parlantes et signifiantes (pour exemple cette meule de foin, emballée de plastique que fouette un vent violent va "accompagner" la narration d’une garde à vue pour le moins humiliante). Bien plus la documentariste "montre" de façon palpable tout ce qui en amont a provoqué la colère : un monde industriel en décrépitude, la misère, la précarité
" Nous ne sommes pas dans un film guidé par l’urgence de témoigner, mais dans une proposition sensible de l’après coup, de la transformation. Les récits sont portés par des personnes pour qui le mouvement des Gilets jaunes a marqué irrémédiablement leur vie. En parlant de réinvention du monde, le film crée des ponts avec d’autres mouvements de résistance que ce soit dans les champs de l’écologie ou des inégalités sociales notamment. Le film cherche à rendre palpable la force souterraine des idéaux d‘un peuple, qui se met à croire dans un réenchantement possible de ce monde trop souvent présenté sans avenir. Ce qui me touche dans la démarche de Sylvestre […], c’est sa volonté de chercher à humaniser un mouvement souvent méprisé et déshumanisé, en s’intéressant au quotidien, à la vie des gens, d’une France oubliée. Son élan à aller vers l’autre ne se place pas pour autant dans la compassion ou la complaisance, mais dans la curiosité, l’excitation de la rencontre, le désir de recevoir une diversité de récits, de se faire passeuse d’une parole." Jean-Marie Gigon, producteur-délégué du film
Un documentaire -quête d’une mémoire frémissante- à l’audacieuse forme de congruence, à ne pas rater
(séances Omnia vendredi 18h dimanche 13h30, mardi 18h)
Colette Lallement-Duchoze