De Satyajit Ray (1959 Inde) version restaurée
avec Soumitra Chatterjee (Apu) Sharmila Tagore (Aparna) S Mukherjee
troisième volet de la trilogie d'Apu
Calcutta, 1930. Apu rêve de succès littéraire, mais faute d’argent il doit interrompre ses études et affronter le monde du travail. Un jour son ami Pulu l’emmène au mariage de sa cousine. Suite à l’accès de folie du jeune marié, Apu, venu en tant que simple invité, se voit contraint d’épouser la jeune femme pour lui éviter le déshonneur. Malgré les difficultés économiques du ménage, ce mariage précipité se transforme en un profond amour...
Jeter au vent -à la face du monde?-, les prémices d’une œuvre littéraire, comme autant de lambeaux d’une vie lacérée par un destin tragique (que vaut l’art, la création littéraire pour un inconsolable inconsolé? signe de rupture définitive avec un passé ?) est un « moment fort» de ce troisième volet de la trilogie (Trilogie inspirée par le roman autobiographique d’un compatriote du cinéaste, Bibhouti Bhoushan Banerji (1894-1950), récit d’époque remontant aux années 1920)
Moment précédé par la découverte de l’amour (la contrainte initiale presque farcesque -épouser une inconnue, la cousine de son ami Pulu- s’étant métamorphosée grâce à un apprivoisement réciproque en amour authentique)
Moment que suivra la conquête de la sérénité
Le jeune homme joueur de flûte, au tee-shirt troué, clamant « Je suis Mainaak, le fils de l'Himalaya, et je cache mes ailes dans la mer. » cèdera progressivement la place à un adulte responsable, « réconcilié avec lui-même et avec le monde » Et c’est bien ce cheminement -illustré par la musique du sitariste Ravi Shankar- qui va de la désinvolture à la maturité assumée, en passant par l’indicible tragédie, que met en scène Satyajit Ray en des décors où alternent milieu urbain et paysages champêtres (magnifiés par un noir et blanc somptueux)
Non Apu n’est pas ce père irresponsable que condamne l’oncle -la paternité n’est pas une donnée, elle n’est pas acquise , elle se construit ; et ici ce sera moins par des discours moralisateurs que par une lente et longue prise de conscience scandée par les multiples errances de ce promeneur et travailleur solitaire (et à l’écran par les passages écran noir)
Entendre la voix off de l’aimée Aparna (Apu est en train de lire avec avidité ses lettres) puis succomber au séisme qui va le ravager (au plan prolongé sur le visage meurtri du messager de la mort, succède un très gros plan sur celui défiguré grimaçant torturé d’Apu) c’est un tour de force du cinéaste (ô douleur torturante)
La façon de cadrer le père et l’enfant -dans l’éloignement suggérer la proximité- -avant l’étreinte- en est un autre.
Le train (témoignage de la modernité du progrès en I, source de rapprochement et d’éloignement en II ) acquiert encore une autre dimension dans ce troisième volet : non seulement il divise en le fragmentant l’espace mais la bande son du sifflement et du crissement s’en vient contaminer l’être-là des deux protagonistes alors que par moments nous sommes immergés en tant que spectateurs dans ses profondes entrailles
Le monde d’Apu, un film à ne pas rater !
Colette Lallement-Duchoze