d'Ilya Povolotsky (Russie 2021)
avec Maria Lukyanova Gela Chitava
Quinzaine des cinéastes Cannes 2023
Un père et sa fille adolescente sillonnent la Russie à bord d'un van qui contient tous leurs biens et le matériel d'un cinéma itinérant. Ils organisent des projections en plein air dans les villages reculés. Lors de leur périple, de brèves rencontres ponctuent leur solitude. Mais leur vie va basculer sur les rives de la mer de Barents.
Aussi aphasique et mélancolique que les films du Lituanien Sharunas Bartas, La Grâce du jeune réalisateur russe est un road movie étonnant où la tache rouge du van (celui où vivent le père et sa fille) devient dans l’immensité, la rugosité, la désolation des paysages traversés, la luminescence dans les ténèbres ; et la dernière partie rappelle -tant les similitudes s’imposent- le film d’Andreï Zviaguintsev le léviathan (les rives de la mer des Barents, le décor post apocalyptique, la peste des poissons).
Le film s’ouvre sur le plan d’une jeune fille accroupie ; elle vient d’uriner près d’une rivière, son corps a saigné ! Elle rejoint le van après sa corvée d’eau, un van conduit par le père, un père qui délaisse la femme de passage (elle-même va s’évanouir dans les méandres d’une route improbable) femme à laquelle l’ado demande une serviette…pour éponger ses menstrues…
Mais qui sont ces deux personnages ? où vont-ils ? à plusieurs reprises l’adolescente évoque la possibilité de la mer…A l’intérieur du van, la présence d’une urne, matérialisation d’un passé qui n’est pas encore enfoui. Le chemin sera long lent jusqu’à l’émancipation. La Grâce ou le récit de cette émancipation. (l’élément liquide y acquiert la grâce de La (re)naissance)
Gros plans sur les visages à l’intérieur de l’habitacle, larges panoramiques pour les extérieurs, et/ou plans majestueux où respirerait la matière d’un vivant déjà mort, avec vues en plongée ou contre plongée, alternance lumière et obscurité, scènes en miroir (rapport père/maîtresse de passage par exemple) des paysages désolés, (et même cet immense centre commercial a des couleurs défraîchies) des ruines, et ce long travelling latéral sur une façade abandonnée avant que n’apparaisse assise une femme muette elle aussi ou du moins peu loquace, le travail exigeant sur les lumières les cadres, tout cela témoigne de la puissance suggestive du film, et de la maîtrise de son réalisateur ! d’une vibration personnelle pour communiquer cette impression (insoutenable pour certains spectateurs) d’une existence fantomatique (pour ne pas dire sépulcrale).
ô visage d’adolescente à la grâce des peintures de la Renaissance !
ô mutiques adultes,! ô jeunesse désenchantée ! de quelle grâce êtes-vous le « non » (ou le nom)
Et si nous avions traversé avec vous un espace mental ?
Un film à ne pas rater
Colette Lallement-Duchoze