d'Agnieszka Holland (Pologne France 2023)
avec Jalal Altawil, Maja Ostaszewska, Taim Aijan
Prix spécial jury Mostra de Venise 2023
Ayant fui la guerre, une famille syrienne entreprend un éprouvant périple pour rejoindre la Suède. À la frontière entre le Bélarus et la Pologne, synonyme d'entrée dans l'Europe, ils se retrouvent embourbés avec des dizaines d'autres familles, dans une zone marécageuse, à la merci de militaires aux méthodes violentes. Ils réalisent peu à peu qu'ils sont les otages malgré eux d'une situation qui les dépasse, où chacun tente de jouer sa partition.
Vilipendée bafouée et simultanément récompensée à la Mostra de Venise 2023 par le prix spécial du jury, Agnieszka Holland, la militante, s’attaque frontalement au cynisme à l’hypocrisie de l’Europe de la Pologne en particulier dans sa politique migratoire. Elle s’est inspirée des événements de novembre 2021, du bras de fer « diplomatique » entre Alexandre Loukachenko et Bruxelles par voisin interposé, Le premier avait affrété des vols de migrants, facilité l’obtention de visas touristiques (ce dont témoigne le tout début du film Green Border ; la caméra est au plus près des visages sereins de passagers, on traverse les « nuages » (premier indice de rupture ?) une hôtesse biélorusse offre la rose de bienvenue (deuxième indice de « fake news ») un taxi attend à Minsk et … tout va basculer.
Car les candidats à l’exil se sont retrouvés bloqués à la frontière avec la Pologne ….(La Biélorussie ne visait qu’à déstabiliser le voisin polonais, et par conséquent l'Union européenne, en déficit de réponse devant un tel flux migratoire)
En s’intéressant au sort d’une famille syrienne (fictive) la réalisatrice accuse les militaires (eux-mêmes soumis à des ordres supérieurs) d’inhumanité, de sauvagerie ; les migrants (héroïsés) vont être ballottés (sens littéral) d’une frontière à l’autre, spoliés non seulement de leurs biens mais pour certains de leur vie (et celles à venir quand une femme enceinte est jetée tel un baluchon par-delà les barbelés)
La réalisatrice a fait le choix du noir et blanc. Pourquoi ? il s’agirait d’établir un continuum (ce sont ses propres mots) avec des films plus anciens ou plutôt avec la réalité des épreuves subies lors de la Seconde guerre mondiale ….Mais ici, et en 2021, les guerres sont menées par deux armées avec des « projectiles humains » ; la barbarie nazie perdure…. plus insoutenable encore… dont acte !
Le découpage en plusieurs parties, s’il offre une pluralité d’entrées, de points de vue, - celui des migrants, celui d’un garde-frontière obéissant aux ordres, sans discuter, du moins dans un premier temps, et celui d’activistes dont les dissensions vont éclater-, n’abolit pas pour autant la tendance fâcheuse au machiavélisme…
Et quand la psychologie est censée expliciter certains choix (prise de conscience du garde-frontière, futur papa, la psychologue Julia désireuse de donner un sens à sa viduité) le scénario déjà surligné va s’embourbant avec des effets d’insistance (plans fixes prolongés sur le visage, les regards interrogateurs),
Et plus globalement le dolorisme appuyé, une certaine complaisance (cf les très gros plans sur des parties du corps mutilé censés illustrer la douleur éprouvée, la lente mort par enlisement de Nour l’aîné des enfants syriens, la bande son parfois trop illustrative) altèrent le propos par cet appel réitéré à l’émotion (tire-larmes)
Donner à voir l’impasse humanitaire sous forme de coup de poing, dénoncer l’hypocrisie cynique (et la responsabilité collective) s’interroger sur la « légalité et l’équité » (à travers le personnage de Julia) éveiller les consciences, oui tout cela est fort louable.
Mais…L’ambiguïté inhérente à toute fiction très documentée et réaliste s’alourdit ici d’un excès de zèle dans la volonté de convaincre.
Colette Lallement-Duchoze