de Milena Aboyan (Allemagne 2023)
avec Bayan Layla, Derya Dilber, Derya Durmaz
Festival Premiers Plans Angers 2024
Elaha, une jeune femme d’origine kurde de 22 ans, s'apprête à se marier. Elle cherche par tous les moyens à faire reconstruire son hymen pensant ainsi rétablir son innocence. Malgré sa détermination, des doutes s'immiscent en elle. Pourquoi doit-elle paraître vierge, et pour qui ?
Voici une jeune femme tiraillée entre le respect des traditions kurdes, l’amour pour sa famille et la soif d’indépendance, qui passera par la libre appropriation de son corps, ce dont témoigne la séquence inaugurale. Elaha danse. Son corps est comme en lévitation, il chorégraphie l’espace sans entrave, au grand dam de sa mère qui lui enjoint de se modérer et de s’asseoir….
Etre écartelé entre deux forces contradictoires inconciliables : c’est le propre du dilemme.
La réalisatrice, dont c’est le premier long métrage, va le traiter sans manichéisme. Les forces conservatrices (concernant le contrôle du corps de la femme) sont incarnées au sein de la famille par la mère (le père est souvent mutique) une mère qui épie, soucieuse avant tout de l'honneur des siens . Incarnées plus largement et idéologiquement par la gent masculine si fière de l’apanage que lui réserve son « sexe » (l’avenir que propose Nassim à sa fiancée Elaha est sidérant de traditionalisme) Les forces émancipatrices ? les « copines » ? certes; mais surtout la professeure qui lors d’un tête à tête explique avec calme que l’essentiel est de « se poser la bonne question », ne pas se barricader derrière des faux semblants.(elle participera d’ailleurs au bon déroulement d’une hyménoplastie gratuite); autre personnage féminin compréhensif et bienveillant, la chirurgienne
A travers le personnage d’Elaha (interprétation souveraine de Baya Layla, allemande d’origine syrienne), la réalisatrice propose une radiographie sociale de la communauté kurde en Allemagne, -ses pratiques culinaires, ses soirées festives, le conflit que mènent certains contre la vie moderne alors que d'autres s'émancipent du "joug" familial . Avec Elaha on sera sensible à toutes les contraintes d'une hyménoplastie (dont le coût exorbitant pour des jeunes impécunieux) à ces escroqueries vendues en pharmacie,, capsules de faux sang et leur kit spécial « nuit de noces », on appréciera cette vidéo sur la reconstruction d’un hymen
Si le choix de la réalisatrice est éminemment politique -dénonciation non pas d’une culture mais du patriarcat (anachronisme du concept de "virginité" entre autres et surtout nécessité de l’émancipation féminine) force est de reconnaître que la mise en scène est assez classique, conventionnelle (alternance scènes familiales dans l’intimité d’un appartement et extérieurs, contraintes et libérations, circulation de regards quand la parole est abolie, -immersion dans une complexité suggérée ? ) et l’on pourra même déplorer des effets d’insistance alors que le contexte est suffisamment éloquent jusque dans ses non-dits
A voir !
Colette Lallement-Duchoze