De Joachim Lafosse (2023)
avec Daniel Auteuil (François Schaar), Emmanuelle Devos (Astrid Schaar) , Jeanne Cherhal (la commissaire) Matthieu Galoux (Romain Schaar, le fils adoptif)
Argument Silencieuse depuis 25 ans, Astrid, la femme d’un célèbre avocat, voit son équilibre familial s’effondrer lorsque ses enfants se mettent en quête de justice.
le fait divers ne fait pas un film, c'est l'écriture (Joachim Lafosse)
Le film s’Inspire de l’histoire de Victor Hissel, cet avocat des familles des fillettes disparues victimes de Marc Dutroux avant d’être lui- même impliqué dans une affaire de détention d'images à caractère pédopornographique. Si le cinéaste fait allusion à certains faits « vérifiables » :la volonté d’en finir (l’avocat se dit contraint d’abandonner la défense 1998) la perquisition 2008, la tentative d’homicide, les procès, ce sera le plus souvent en courts instantanés et dans une chronologie éclatée. Car là n'est pas le propos !!
Non seulement Joachim Lafosse refuse le spectaculaire, le voyeurisme, et le naturalisme (lui préférant la théâtralisation) mais il adopte de bout en bout le point de vue de la mère, une mère aimante certes, mais une épouse complice qui a choisi de se taire…des décennies durant ! Le visage d’Astrid/Emmanuelle Devos ? un palimpseste à décrypter ! Silence ? le "personnage" principal de la tragédie qu'un motif musical rend encore plus suffocant(e) (implosion annoncée d'une famille? "lourd secret" qui taraude avant d'être ébruité?)
Le film s’ouvre sur une séquence assez longue où le regard inquiet d’Astrid au volant de sa voiture s’impose au spectateur dans le reflet du rétroviseur (en écho le tout dernier plan du film, plan fixe prolongé sur son visage…presque plus éloquent que le verdict !) Séquence suivante : au commissariat Astrid a choisi de « parler » face à une « commissaire » bienveillante (étonnante Jeanne Cherhal); encore que …la question « pourquoi avez-vous cherché à me joindre ? » restera en suspens
Le film ? à la question (comme dans A perdre la raison) « comment en est-on arrivé là ? une réponse en flash back. Mais une réponse par bribes. Réponse assez déroutante (recours aux périphrases aux allusions censées sinon combler du moins expliciter les non-dits), mais ô combien efficace (la scène au commissariat par exemple reprise mais « contextualisée », la récurrence de gestes apparemment identiques mais filmés sous un autre angle, la circulation des regards souvent de biais, inquisiteurs réprobateurs rarement complices) une réponse qui restera parcellaire …(surtout ne pas spoiler)
L’enfermement des personnages avec leur "conscience" -aux prises avec leurs démons pour l’avocat- Joachim Lafosse le rend palpable par la récurrence de l’habitacle de la voiture, -qui par métaphore devient habitacle de la conscience- par la spatialisation intérieure de la maison bourgeoise, son cloisonnement -l’antre où "se réfugie" l’avocat, son ordinateur où est compilé l’abject et dont la bande-son en une fraction de seconde dit l’innommable, les escaliers qui jouent le même rôle que la grille à l’entrée de la propriété, la télévision que regardent enlacés la mère et le fils quand la parole de l’avocat est médiatisée, et le couple qui se frôle sans vraiment se parler. Palpable aussi par le choix d’ambiances semi obscures et celui du flou (la part d’ombre de l’avocat ? alors que son propre discours s’affichera toujours tel un plaidoyer pro domo dans l’hypocrisie permanente de l’évitement ou, plus condamnable, dans la stigmatisation de l’autre, cet autre (justice médias famille) forcément "coupable" Sobre Daniel Auteuil l’est assurément (gestes déplacements placidité) mais Emmanuelle Devos est cardinale dans l’incarnation d’une mère, non exemplaire, dépositaire d’une culpabilité honteuse….
Un film à ne pas rater !
(Même avec des bémols …caricature de la presse , épisode nocturne avec Romain)
Colette Lallement-Duchoze