de Babak Jalali (USA 2023)
avec Anaita Wali Zada (Donya) Hilda Schmelling (Joanna) Greg Turkinton (le psy) Jeremy Allen Wight (Daniel) Siddique Ahmed (Salim) Avis See-Tho (Fan)
Prix du jury Festival de Deauville 2023
Donya, jeune réfugiée afghane de 20 ans, travaille pour une fabrique de Fortune Cookies à San Francisco. Ancienne traductrice pour l’armée américaine en Afghanistan, elle a du mal à dormir et se sent seule. Sa routine est bouleversée lorsque son patron lui confie la rédaction des messages et prédictions. Son désir s’éveille et elle décide d’envoyer un message spécial dans un des biscuits en laissant le destin agir…
Un format 4,3 qui enserre le visage de Donya (impressionnante Anaita Wali Zada) telle une icône, un noir et blanc somptueux qui n’est pas sans rappeler Jim Jarmusch, des plans fixes le plus souvent, des dialogues minimalistes (hormis le beau discours du Chinois sur la frontière, celui du voisin sur les étoiles ou celui du psy sur Croc-Blanc, reliant la trajectoire du chien-loup et celle de la réfugiée afghane), la musique de Mahmood Schricker (partition de jazz avec trompette cor et violoncelle, mais aussi sonorités typiques de l’oud), tout dans ce film prouve l’originalité dans le traitement de l’exil. Originalité et juste mesure- Celle préconisée d’ailleurs par le patron chinois, dans la rédaction des fortune cookies, des messages - prédictions ni trop positifs ni trop négatifs ni trop didactiques ni trop lyriques A cela il convient d’ajouter l’humour (parfois décalé à la Kaurismaki)
Une vie sociale trépidante ! Tel est l’aveu d’une Donya pince-sans- rire au psy. Morne et plat est en fait son quotidien, ce dont témoigne la répétition de gestes identiques : au travail, à la pause-café, le soir dans ce petit restaurant de quartier face à un écran qui diffuse en boucle des soaps, la nuit dans ce studio où l'obscurité se confond avec la permanence insomniaque de l’éveil. On devine que Donya souffre d’un trauma. Taraudée par la "culpabilité" ? N’a-t-elle pas quitté son pays en y laissant les siens ? Elle l’ex traductrice au service de l’armée américaine ? Le regard haineux du voisin Suleyman en dit long sur la réprobation ; et voici qu’éclatera l’aveu : filmée en plongée Donya crie son " innocence" c’est pour toi et pour vous sauver que j’ai accepté ce travail…
Mais ce qui importe au cinéaste est moins le passé, si douloureux soit-il, que la détermination de cette réfugiée à « être ouverte au champ des possibles »
Le revirement (choisir le droit à la Vie au Désir) s’opère à la faveur d’une chanson interprétée par Joanna, (Hild Schmelling) sa collègue de travail (marieuse aussi à ses heures…
Et dans la dernière partie, voici que l’horizon s’élargit, même et surtout dans l’étroitesse du format - la rencontre avec le garagiste ; Donya va pénétrer dans son « antre » comme elle pénètre dans le champ des possibles où le blanc d’un cerf (comique de situation mais…ne pas spoiler) contraste avec le gris et le noir; même statufié il est porteur d'un élan oblatif vers l’échange, la Vie reconquise
Sensible et subtil, ce film s’interroge aussi sur d’autres problématiques (rapports entre différentes communautés) et les personnages dits secondaires se parent de la dimension authentique de l’humain et de la singularité (le patron de l’usine, le psy, le restaurateur, le garagiste)
Un film à ne pas rater !
Colette Lallement-Duchoze
( du même cinéaste Land Land - Le blog de cinexpressions)