Documentaire de François Caillat (2022)
Ce documentaire raconte la métamorphose d'un garçon, issu d'un milieu sous-prolétaire picard, en star de la vie culturelle française. Édouard Louis, devenu en quelques années l'écrivain porte-parole d'une génération, engage chacun à faire de la transformation permanente un nouveau mode d'existence
Disons-le sans ambages : ceux qui ont lu les textes d’Edouard Louis (depuis « Pour en finir avec Eddy Bellegueule ») ceux qui ont pu discuter avec lui lors de son passage à Rouen (2x) n’apprendront pas grand-chose du documentaire que lui consacre François Caillat (rejet homosexualité hontes fuite réinvention ) En revanche le réalisateur invite à nous interroger sur le dispositif choisi pour illustrer "la transformation"
Tout d’abord il filme Edouard Louis sur les lieux de son enfance, de son adolescence, la Picardie, Amiens ; lieux vides désertés par l’humain ; dans le cadre, des lambeaux de verdure, d’habitations, des vues plus panoramiques alors que le visage d’Edouard Louis envahit l’écran ou qu’il est filmé en plan américain et que tel un commentateur il nous « montre » le lycée, le cinéma le théâtre, les lieux de sa « transformation » assumée. Un personnage iconique au regard bleu acier au sourire enjôleur ? un mégalo dont la parole ne serait pas spontanée, car passée au crible de l’analyse bourdieusienne… ? Bien sûr que NON !!! Les références ne sont jamais afféteries -quoi qu'en pensent certains qui confondent élégance et maniérisme
Le documentariste a choisi pour l’énonciation ce mélange d’un « je » (mais débarrassé de ses égratignures il n’est plus l’écorché des premiers textes) et d’un « il » de mise à distance (d’autant plus prégnant que nous voyons interpréter par des comédiens les textes de l’écrivain ou récités par l’auteur lui-même en studio d’enregistrement) Comme si le discours sur « le transfuge de classe » s’était banalisé !
Mais ne nous méprenons pas cette « remontée » dans le temps va se focaliser (cf le titre « ou la transformation) sur un « moment » décisif -car libératoire -, où l’adolescent adulte influencé par « retour à Reims » de Didier Eribon a choisi la "métamorphose"…Or ce qui à l'époque était vécu comme un aboutissement (le lycée, l'option théâtre) se révèle être un nouveau départ (rien d'étonnant donc à ce que l'écrivain d'aujourd'hui, et/ou le "personnage" du documentaire insiste(nt) à plusieurs reprises sur cette prise de conscience). Et comme le substantif transformation implique un « mouvement » (cf le préfixe « trans ») le réalisateur a opté pour un « mouvement » permanent : voyez Edouard Louis casqué qui enregistre sa voix en lisant ses propres textes et simultanément défilent des images sur un écran. Une parole -faussement- statique, en déplacement permanent ? La mobilité comme essence d’une trajectoire ? (qui serait illustrée par ces mouvements chorégraphiés, ce cheminement vers…quand le « personnage » est filmé de dos ou ces alternances entre pauses et courses)
Décortiquer le processus de l’intime et aussitôt le mettre en perspective (sociologique ou philosophique) c’est précisément le substrat de ce film « comment se réinventer » car l’autobiographie d’Edouard Louis a d’emblée la vertu de l’universel Chaque fois que l'on dit 'je change', on donne la possibilité à d'autres de dire 'je veux changer'".
N'est-ce pas une raison suffisante pour aller voir ce documentaire ? Souvent bouleversant tant dans l’analyse des déterminismes sociaux que dans le courage déployé pour s’en extirper …
Colette Lallement-Duchoze
PS On attend la parution de L’effondrement consacré au frère aîné mort à 38 ans