19 décembre 2023 2 19 /12 /décembre /2023 06:27

d'Elene Navariani (Géorgie 2023)

 

avec Eka Chavieishvili, Teimuraz Chinchinadze

 

Quinzaine des cinéastes, Cannes 2023

Ethéro tient une épicerie dans un petit village reculé en Géorgie. À 48 ans, cette femme indépendante et solitaire découvre tardivement l’amour et sa sexualité. Alors que cette passion nouvelle change sa façon d’envisager son avenir, elle doit faire face aux commérages des femmes de sa communauté et aux fantômes des figures patriarcales de sa famille...

Blackbird, blackberry

Une sensualité à fleur de regard, de main - regard qui capte le merle chanteur, main qui cueille délicate une mûre -c’est la scène d’ouverture (qui suit de près le bouillonnement de plus en plus impétueux de l'eau...comme prémices du désir?) , et cette sensualité imprègnera tout le film (manger avec gourmandise d’énormes gâteaux aura quelque chose de savoureusement léger,   inhaler les odeurs de la peau, des vêtements aura  quelque chose de voluptueusement liturgique)

Mais dès la séquence d’ouverture, en imaginant son double mort suite à une chute, se profile subrepticement la présence de la Mort ; un plan sur un cercueil à l’hôpital de Tbilissi lui fera écho dans la dernière partie du film;. Entre les deux Ethero aura connu  le pouvoir quasi magique de l’Amour. (enfin après 48 ans de virginité !!!). Thanatos aurait provoqué l’irruption d’Eros ?

 

Un présent terne et morose (on pense bien évidemment à Kaurismaki dans la façon de l’appréhender) -fait de solitude, de silences, de gestes répétitifs dans la gestion de la boutique Rien que pour vous : beauté et confort, un présent marqué par la récurrence de quolibets et sarcasmes sexistes déversés par la gent féminine (qui lui rappelle ironiquement le sort dévolu à la femme et dont elles semblent s’acquitter…) Or semble nous démontrer la cinéaste  n’est-ce pas le patriarcat qui fragilise la solidarité entre les femmes ? Un passé certainement douloureux (que l’on exhumera par bribes sans verser ni dans le misérabilisme ni dans l’apitoiement -seules les photos/témoins des hommes castrateurs seront exhibées ou camouflées au gré des visites). Un quotidien avec lequel Ethero décide de rompre : les odeurs, la chair, les caresses, la voix de Mourmane (Un gentil chien au milieu de tous ces loups) vont le bouleverser.  Ethero vit la passion amoureuse comme une adolescente et son regard magnétique irradie son visage son être tout entier ; mais toujours dans l’observance d’une forme de bien-pensance (ah ces traditions locales patriarcales si tenaces), en évitant les regards réprobateurs et bien pire les « qu’en dira-t-on » Emerveillement et légèreté ne sauraient donc entacher la méfiance (être à l’affût, choisir des lieux isolés, comme dérobés au regard d’autrui, etc.)

La sexualité est filmée de façon paradoxalement pudique -voyez ces corps nus vieillissants dont celui d’Ethero à la surcharge pondérale évidente, s’étreindre et jouir ; corps filmés avec douceur sans vulgarité, car la caméra d’Elene Naveriani n’est jamais intrusive. La  rondeur devient sculpturale  ( Botero)  Et le plan   choisi  pour l'affiche baigne dans  un hédonisme lumineux qui rappelle certaines peintures

 

Adapté du roman éponyme (en français, Merle, merle, mûre) de Tamta Mélachvili, écrivaine géorgienne et militante féministe, le film d’Elene Naveriani insiste sur l’indépendance de son héroïne (étonnante Eka Chavleishvili). Au plus fort de la passion Ethero ne cèdera aux propositions plus ou moins machistes de Mourmane (quel avenir en Turquie, sinon laver, nettoyer, attendre l’époux ? que nenni !!)

Ethéro est une féministe instinctive qui n’a rien appris dans les livres, Elle tient à son indépendance même si elle fait l’objet des commérages de ses amies, qui la taxent de vieille fille. Je pense que cette toxicité et ce genre de piques entre proches sont caractéristiques de l’identité géorgienne (propos de la réalisatrice)

 

Une chose est sûre : la mûre n’aura  plus jamais  la saveur d’antan : elle est devenue douce-amère! 

Doux-amer, oxymore pour définir ce film ?

Un film  à ne pas rater (même si la fin ... inattendue est tendancieuse !)

 

 

Colette Lallement-Duchoze

 

 

 

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