Court métrage d'Enzo Martinez (27' France 2023)
avec Agnès Soral, Pierre Hancisse, Marie Kauffmann, Olmo Hidalgo
Festival de films francophones CINEMANIA Canada 2023 sélection officielle
Festival international du film francophone de namur (FIFF) Belgique 2023 Compétition internationale
Adaptation d’une des scènes de La Réunification des deux Corées, de Joël Pommerat (tectonique des cœurs plus que géopolitique) créée aux ateliers Berthier en 2012
Inquiets par le comportement étrange de leur enfant Antoine depuis son retour de classe de neige, un couple de parents souhaite rencontrer Daniel, son professeur
Apathique, notre enfant pleure, il fait des cauchemars ; il ne s’est rien passé ? j’aimerais comprendre (propos de la mère)
Non à part cette soirée dont je vous ai parlé à mon retour (Daniel s’adressant à la proviseure)
Une nuit particulière (celle de tous les « dangers » imaginent les parents, celle de l’amour sans connotation de pédophilie selon le professeur)
Voici un dispositif (multi)frontal : Daniel face aux parents et face à la proviseure, tout comme il est face à sa conscience, avec ces visages tantôt rapprochés tantôt éloignés, et parfois élargissement du cadre quand les quatre personnages sont "recasés" in situ (une salle de classe bien particulière où les chaises sont dressées à l’envers, l’humain ayant provisoirement déserté, tout comme ce plan furtif sur le blanc quasi mortuaire du lavabo). Chacun des quatre semble incarner un archétype (le must étant la proviseure, louvoyant, soucieuse avant tout de la notoriété de son établissement). La parole de l’enfant sera restituée, déformée par le prisme du discours parental, parents affolés qui n’auront retenu que ce qui prête à confusion et partant, ce qui entache l’intégrité de leur enfant (l’abus des adjectifs possessifs prouverait s’il était besoin que l’enfant est leur "bien inaliénable" et que certains comportements éducatifs sont l’apanage.... des parents). Et quand le père d’origine étrangère s’exprime dans sa langue maternelle on peut imaginer que l’accusation est sans appel.
Voilà un professeur accusé de pédophilie (le mot n’est jamais prononcé mais amplement suggéré) Son "crime" ? avoir voulu réconforter un gamin harcelé par les autres, un gamin brimé (l’incontinence urinaire révélatrice du trauma) : il fallait changer les vêtements, poser délicatement le corps sur un lit hors de la vue de ses agresseurs Mais précisément dans l’accomplissement de ce rituel -et en écho l’éveil de Daniel hors de son lit-suaire ? l’eau lustrale de la douche qui suinte sur le corps ? - le professeur sera désormais l’agresseur : Oui il a fait preuve d’amour Oui il aime Antoine comme il aime ses enfants, ses 25 élèves. Et si précisément ce dont souffrait Antoine était un "manque d’amour ? c'en est trop pour le ...père !!!
Et la perle qui larmoie au coin de l’œil filmée en très gros plan, un aveu ? La séquence finale, et le miroitement de l'eau comme sépulture? Tout est dans l'ineffable ou plutôt dans le rejet ou l'acquiescement du "dit", de ce qui est "proféré" Daniel serait-il coupable? son plaidoyer pro domo une piètre défense? Les parents obnubilés par les marques d'attouchement pédophile ressassent-ils les mêmes accusations (même voilées) comme moyen d'auto persuasion?
Obéissant à une dynamique interne (qui culminera dans la scène de violence verbale et gestuelle avec cette amplification sonore propre aux acmés de la tragédie), ce court métrage aux couleurs bleutées (le plan d’ouverture sur la vertigineuse compacité de l’établissement scolaire que le martèlement des pas accompagne comme unique bande-son se mue en habitacle de solitude) interroge le mot et ses connotations, la relation professeur/élève, le poids de l’administration et plus de 10 ans après la création de Joël Pommerat, a des résonances bien « particulières » dans notre société
Un court métrage de 27’ à ne pas rater !
Colette Lallement-Duchoze
ps ce court métrage sera diffusé sur France 2