de Bertrand Mandico (2023)
avec Elina Löwensohn, Christa Theret, Sandra Parfait, Julia Riedler, Claire Duburcq, Agata Buzek, Nathalie Richard, Françoise Brion
Présenté à la Quinzaine des Cinéastes, Cannes 2023
Synopsis au choix:
Gardien des enfers, le cerbère a toujours sa gueule de chien, mais il est bipède et s'appelle Rainer, a les seins et la voix d'une femme, un blouson de cuir clouté et un appareil de paparazzi toujours prêt à lancer ses flashes. Depuis l'au-delà, il nous raconte les réincarnations successives de Conann la barbare, amazone sanguinaire venue de la nuit des temps.
Parcourant les abîmes, le chien des enfers Rainer raconte les six vies de Conann, perpétuellement mise à mort par son propre avenir, à travers les époques, les mythes et les âges. Depuis son enfance, esclave de Sanja et de sa horde barbare, jusqu’à son accession aux sommets de la cruauté aux portes de notre monde...
Un univers visuellement et musicalement très particulier (fantasque pour certains) c’est une évidence. Mandico a en effet habitué son public à ses délirantes allégories; mais ici le carnage, le passage abrupt du noir et blanc (les abîmes le chaos) à la couleur (le purgatoire), le visqueux à la Cronenberg, nous plongent dans le cru (dévoration) et le barbare (sens multiples) à partir d’un récit assuré par Rainer- incroyable Elina Löwensohn.! Rainer le démon à tête de chien, est non seulement la voix qui raconte, il est celui qui "filme", qui photographie la mort, celui qui renifle pour corrompre ; il emprunte au langage de Shakespeare et par rapport à la dynamique interne il ira s’humanisant alors que Conann se déshumanise (contrepoint à la barbarie ?). A noter que par moments l’image suffirait sans l’apport redondant du verbe !
Si le générique donne le ton - des néons, des lettres de sang, des stigmates qui marient (élégamment ???) putrescence et sensualité-, on retrouvera tout au long du film ce goût si prononcé pour les surimpressions, les longs travellings, alors que les personnages (apparente multiplicité mais unicité fondamentale) devant des écrans créent des mises en abyme dans un univers où la barrière entre la vie et la mort ne peut être traitée que par une forme d’expressionnisme. Entièrement tourné de nuit ce film ne représentera jamais le ciel (on est coincé avec Conann et sa mémoire à tiroir ; la caméra enserre les personnages tel un dragon le plus souvent en plongée, affirme le réalisateur; filmé à la grue et en plongée Conann adopte en effet le point de vue "flottant" des "morts" qui surplomberait "le monde des vivants", en une vaste orgie "dégoûtante" - de l'aveu même de Rainer-, (mais après tout la barbarie n'est-elle pas un monstre que l'on génère et/ou que l'on ingère ???)
« Le film a été tourné au Luxembourg dans une ancienne usine de sidérurgie ; endroit très inspirant avec d’incroyables capacités d’accueil de décors : ici ma vision de New York 1998, là le temple antique démesuré, ailleurs champs de bataille avec damier surréel ou petit lac et bunker englouti (extrait entretien dépliant UFO distribution)
Conann LA barbare est interprétée par 5 femmes à des âges différents ; Conann ou la « relecture » féminine d’un mythe qui avait été « popularisé » au cinéma par un Arnold Schwarzenegger (super testostéroné !!) Car Mandico part précisément de son « contraire » ou plutôt il remonte à la mythologie celte et propose une "barbare" polymorphe traversant les âges. S'ouvrant sur le réveil (?) d'une vieille femme amnésique il se déploie en un long flash back -depuis l'épisode de la jeune fille témoin du massacre de sa mère jusqu'à la Reine des Enfers-, soit les différentes formes de barbarie .qui ont traversé les siècles (chaque métamorphose étant incluse dans la précédente!). De même il revisite un genre « laissé à l’abandon et pourtant envoûtant » (celui du pacte faustien de la « diablerie » René Clair Marcel Carné Jean Cocteau) ; et il se plaît à faire cohabiter l’ancien et le nouveau, le médiéval et le contemporain (cf la présence d’une voiture argentée ou d’un fusil d’assaut)
La dynamique du film ? Comment peut-on trahir ses convictions ses idéaux ses désirs comment on s’endurcit au fur et à mesure que l’on vieillit" Et si la vengeance est « un acquis narratif jamais contesté » c’est précisément une forme de barbarie.
Le sens? Conannn n’est pas un monde clos dans un océan mais une succession d’éclosions en eau trouble
Ingère ou crève (dernière partie)
Un film à ne pas rater!
Colette Lallement-Duchoze