de Radu Jude (Roumanie 2023)
avec Ilinca Manolache (Angela Raducani), Ovidiu Pîrșan (lui-même), Nina Hoss (Doris Goethe), Dorina Lazar (Angela Coman), Laszlo Miske (Gyuri), Uwe Boll (lui-même)..Katia Pascariu (la femme d'Ovidiu) .
prix spécial du jury Locarno 2023
Angela, assistante de production, parcourt la ville de Bucarest pour le casting d’une publicité sur la sécurité au travail commandée par une multinationale. Sa journée se résume à de multiples rencontres
Singulier inventif iconoclaste et facétieux le dernier film du Roumain Radu Jude oppose (et ce plus que les précédents) une forme difficilement identifiable – collage chaotique- à un contenu assez limpide dans son « didactisme ». Une forme faite de plusieurs « trames », d’incises, de parenthèses, de ralentis signifiants, du passage du noir et blanc à la couleur, d’enchâssements (à la fois spéculaires et contrastés) ; une forme au service d’une virulente dénonciation celle de tous les travers de l’ultralibéralisme, de la corruption institutionnalisée et morale, et des conditions de travail mortifères, dont la seconde partie, faite de 2 ou 3 plans-séquence, consacrée à Ovidiu serait l’illustration-, « broyage » des corps (sens littéral) ; travailleurs mutilés à vie, avec cette outrecuidante mise en exergue : le travailleur serait lui-même l’artisan de son " invalidité permanente"
Voici Angela au volant de sa voiture traversant la capitale roumaine : c’est le fil directeur. Filmée le plus souvent de profil, (caméra fixe à ses côtés), elle rumine son chewing-gum et ses rancœurs -jurons et doigt d’honneur à l’encontre d’automobilistes, chauffards sexistes. Musique tonitruante qui scande les changements de vitesses et de.. points de vue. Assistante de production, elle doit interviewer des travailleurs « invalides », suffisamment « présentables », pour une vidéo de « prévention » sur la sécurité !! Ce clip promotionnel a été commandé par une multinationale
Or cette trame narrative est doublée (duplication en miroir) par les extraits du film Angela merge mai departe de Lucian Bratu de 1981, avec des effets symétriques -une chauffeuse de taxi, des situations et des décors similaires- mais un traitement différent : au noir et blanc du présent s’opposent les couleurs patinées du passé ; Parallélisme, opposition entre deux périodes ? celle du « capitalisme » contemporain et celle de la dictature Ceausescu ? Ici les ralentis vont orienter le regard du spectateur vers des détails que la censure de l'époque avait omis de gommer!!!! Par le jeu incessant de distorsion tous azimuts -images et bande son surtout-, voici que les mêmes personnages réapparaissent vieillis et (re) investissent la première trame narrative. Après tout, les deux « modèles » économiques d’exploitation ne seraient pas si éloignés, dans leur mépris de l’humain !
A cela s’ajoutent les vidéos TikTok qui ponctuent le « récit » : nous voyons l’avatar numérique d’Angela Bobitza –(elle a actionné un filtre) qui éructe des horreurs sexistes avec gros plan sur les lèvres et la langue, en un tournoiement acide dans les bas-fonds du sexe !! Or -et Angela l’avouera elle-même- si ces « pastilles vidéos » sont censées ridiculiser tout ce qui est proféré, elle a besoin de ces « caricatures vulgaires » pour « souffler », entendons, pour casser le rythme (par trop inhumain) imposé par son employeur (Un employeur représenté par une cheffe d’entreprise autrichienne, descendante du poète Goethe…. !!! interprétée par une Nina Hoss dont « l’image » presque surréelle dans la conversation Zoom est délibérément « défigurée » !)
Ne tournons pas le dos à la vulgarité semble dire le cinéaste ! face à l’absurdité d’un monde en pleine dégénérescence (et la traversée « épique » de Bucarest le prouverait aisément !) utilisons la comme moyen
Angela conduit Doris Goethe de l’aéroport à son hôtel ; elle lui signale l’existence d’une route meurtrière (preuve de l’incurie des pouvoirs publics !) bordée par des croix commémoratives (plus de 600). Et voici que dans une longue séquence muette vont défiler en un lent travelling latéral nombre de « monuments miniatures » que la lumière inonde de sa clarté et que les couleurs de l’herbe des fleurs saluent dans leur élan oblatif !
Un film à ne pas rater !
Colette Lallement-Duchoze
Aferim - Le blog de cinexpressions