de Cédric Kahn (2023)
avec Arthur Harari (Maître Georges Kiejman) Arieh Worthalter (Pierre Goldman) Stéphan Guérin-Tillié (Président) Jerzy Radziwiłowicz (Alter Goldman) Jeremy Lewin (Chouraqui) Nicolas Briançon (Maître Garaud) Laetitia Masson (psychiatre)
présenté à Cannes 2023 Quinzaine des Cinéastes
En novembre 1975, débute le deuxième procès de Pierre Goldman, militant d'extrême gauche, condamné en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité pour quatre braquages à main armée, dont un ayant entraîné la mort de deux pharmaciennes. Il clame son innocence dans cette dernière affaire et devient en quelques semaines l'icône de la gauche intellectuelle. Georges Kiejman, jeune avocat, assure sa défense. Mais très vite, leurs rapports se tendent. Goldman, insaisissable et provocateur, risque la peine capitale et rend l’issue du procès incertaine.
"je suis innocent, parce que je suis innocent" Ontologie et Justice !!!!
Le choix du format 4,3 et le refus des "pièges" inhérents au genre (sévérité des plans rectilignes , recours aux flash-back, protocole figé, par exemple) le réalisateur les met au service d’une approche qui doit allier fluidité et complexité.
Fluidité ? Une gageure tant les diverses rugosités sont évidentes. Et surtout le face à face perturbant avec un accusé hors du commun, révolutionnaire devenu braqueur, auréolé par le succès de son livre écrit en prison, "Souvenirs obscurs d'un Juif polonais né en France", un accusé à l'aplomb désarmant dont témoigne le très court prologue hors prétoire. Il convenait de varier les angles de vue, passer comme subrepticement d’un plan à un autre, (jeu de travellings latéraux) avec trois caméras filmant en même temps, interrompre par un écran noir, tout en faisant de la parole un personnage à part entière. Parole des témoins bien évidemment, éructations accompagnées de gestes des "supporters" de Goldman, interventions intempestives, harangue et diatribes de l’accusé etc... Parole qui se duplique dans l’image du locuteur (rares gros plans mais visages filmés au plus près quand ils ne s’estompent pas dans un plan plus large ou des plans moyens); ou parole qui résonne telle une voix off , quand elle n’est pas étouffée… ..( au moment du verdict, la liesse des proches de Goldman couvre la voix du président !)
Complexité ? dans le huis clos (que le format choisi amenuise encore) Cédric Kahn crée une toile arachnéenne qui va prendre le spectateur dans son réseau insidieux, lui faire perdre l’équilibre (à l’instar de certains jurés qui avouent ne plus rien comprendre). Multiplicité des témoignages, des points de vue, dans la recherche de la Vérité, une vérité toujours approchée jamais embrassée tant les fluctuations de la mémoire, les schémas intellectuels conscients ou inconscients, les haines viscérales dictent les choix. Voilà un des aspects de la complexité de l’appareil judiciaire que le jeune avocat Kiejman a su mettre en exergue. Complexité aussi dans les choix de stratégie de la "défense" : l’avocat veut allier pathétique rigueur, judéité alors que son client revendique une « innocence » ontologique "Je suis innocent parce que je suis innocent "
Au final c’est moins la « culpabilité » de Goldman (ou son innocence) qui est « mise en scène » que la « fragilité » d’un système fondé sur la toute-puissance de l’aveu, et la subtilité des nuances -justice et justesse, juger et rendre justice, etc…- y gagne en vraisemblance
Par-delà ce procès, où resurgit tout un pan de l’Histoire de la Seconde Guerre mondiale, - rappel des origines juives de Goldman, du militantisme de ses parents, de l’antisémitisme, du racisme, des méthodes de la police-, n’est-ce pas notre époque qui, mutatis mutandis, se lit en filigrane ?
Oui ce film résonne comme un " avertissement"
Oui ce film mérite le déplacement (malgré des caricatures -dont le témoignage de cette femme raciste, les mimiques, le rire sardonique de l’accusation-, et malgré cette tendance à la théâtralisation là où on attendait l’épure!)
Colette Lallement-Duchoze