18 août 2023 5 18 /08 /août /2023 20:03

de Patric Chiha (France Belgique 2023)

 

avec Anaïs Demoustier, Tom Mercier, Béatrice Dalle

 

Diagonale 2023 : prix du meilleur costume pour Claire Dubien

Festival du film de Cabourg 2023 : compétition officielle

 

Pendant 25 ans, dans une immense boîte de nuit, un homme et une femme guettent ensemble un événement mystérieux. De 1979 à 2004, l’histoire du disco à la techno, l’histoire d’un amour, l’histoire d’une obsession. La " chose " finalement se manifestera, mais sous une forme autrement plus tragique que prévu

La bête dans la jungle

Au départ la nouvelle de Henry James 1903

La Bête dans la jungle « me hante depuis très longtemps ». Ainsi s’exprimait Patric Chiha lors de la rencontre débat (Omnia jeudi 17/08). Ce sentiment terrifiant de passer à côté de sa vie, justement parce qu’on espère une vie au-dessus de la vie, une vie extraordinaire

Pour l’adaptation cinématographique, il avoue avoir été fidèle au texte originel tout en s’en démarquant.

La " gardienne"  la physionomiste  (Béatrice Dalle) - Parque des temps modernes ?  allégorie de la mort? du temps?-, va  "raconter, commenter"  l’histoire de May et John à travers les différentes mutations de l’époque choisie 1979 / 2004 et par-delà des événements majeurs ( Mitterrand, sida, chute du mur, world trade center). Or certaines incursions dans le "réel" (quand le hors champ s'invite)  se muent en  intrusions trop appuyées et  font redondance avec les "incidences" évidentes de ces événements sur les personnages . Il en va de même de ce   point de vue "omniscient" trop  répétitif de La physionomiste

En revanche, le choix d’une boîte de nuit, en tant que huis clos, épouse l’enfermement des deux protagonistes dans leur "quête d’absolu"; l’omniprésence de la musique (disco puis techno) s’impose telle une sensuelle transcendance, l’importance des personnages dits secondaires (l’homme pipi la femme vestiaire le mari) et du groupe des danseurs -acteurs à part entière : leur corporéité leurs murmures leurs gestes leurs sourires, chorégraphient un espace saturé de volutes, dans leur "manière d'être au monde"  tout en enserrant le duo dans sa quête d’un sens dont le mystère est précisément de ne pas advenir ; le choix de phrasés particuliers dont celui de Tom Mercier (théâtraliser le texte? Imposer une distanciation voire une artificialité?), des clins d’œil à Cocteau (la belle et la bête les enfants terribles) mais en l’absence de l’onirisme fantastique, un clin d’œil plus évident à Lynch (quand Anaïs Demoustier pénètre dans le temple de la musique qui est aussi celui du Temps, suspendu). Tout cela n’entache en rien l’essentiel  de la nouvelle de H James : faire vibrer deux êtres dans l’intensité d’une attente … dans l’inassouvissement perpétuel (jusqu’à en « mourir ») (Anaïs Demoustier resplendissante d’énergie solaire, Tom  Mercier comme figé dans son être-là d’un bloc d’absence,  donnent « corps » à cette « douloureuse attente »). Peu importe que les acteurs ne « soient pas grimés » quand ils passent le cap des 30, 40 ans (c’est précisément la force de cette attente intérieure, leur présent immobile dans la fixité de l’éternel  ; tout peut changer (la mode vestimentaire, la musique) tout peut s’effondrer, eux ne changent pas  (surtout John ) et dès lors la question « pourquoi ne pas les avoir vieillis eux qui traversent 25 ans  d’une vie» peut paraître saugrenue (il faut reconnaître que Patric Chiha l’a contournée -habilement-, tel un casuiste, pour revendiquer sa spécificité par rapport à d’autres réalisateurs…)

De l’alchimie -travail très solidaire avec toute l’équipe technique, affirmait-il,  naît une œuvre singulière, hypnotique -parfois- où, en dehors de la musique, le regard est souverain pour la « narration » (c’est du moins mon impression). Jeu de miroirs (réels ou symboliques)  qui renvoient l’image du couple (comme pour le décupler ad libitum) Regard qui épie l’autre, (cf la variété des angles de vue) le saisit dans les moments où il se livre par le Verbe MAIS en ne percevant de lui que de furtives « présences » comme si un « faisceau de réciprocités » habitait chacun et que le corps électrisé par la musique aurait dû mais n’a pu, faire advenir. Et l’état de catalepsie dans lequel est plongé John l’empêche de voir que May serait précisément la solution…(il ne se souvient  pas avoir dévoilé son « secret » lors de leur première rencontre « Vous m’avez dit que depuis votre plus tendre enfance, vous aviez, au plus profond de vous, la conviction d'être réservé à un sort rare et mystérieux », ils étaient ados (cf le plan d’ouverture d’abord délibérément flou , auquel répond en écho le dernier dans une circularité à valeur "universelle" ? ) 

 Si je le pouvais je vivrais encore pour vous, mais je ne le peux plus

Quand John COMPREND…. il est trop tard !

Et la métaphore de la montre – un cadeau de May-, qui se brise sur la pierre tombale, n’en sera que plus éloquente !

Une proposition ambitieuse, un traitement  audacieux et curieux  certes, mais dont les  afféteries et les redondances sont susceptibles de gêner  la "perception" du regardeur !!!

 

Colette Lallement-Duchoze

 

ps: La Bête, adaptation de la nouvelle par Bonello, sortira dans les salles en février 2024 

 

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