de Kamal Lazraq (Maroc 2023)
avec Ayoub Elaïd et Abdellatif Masstouri
Festival Cannes 2023 Prix du Jury Un Certain Regard
Dans les faubourgs populaires de Casablanca. Hassan et Issam, père et fils, tentent de survivre au jour le jour, enchaînant les petits trafics pour la pègre locale. Un soir, un homme qu’ils devaient kidnapper meurt accidentellement dans leur voiture. Hassan et Issam se retrouvent avec un cadavre à faire disparaître. Commence alors une longue nuit à travers les bas-fonds de la ville…
Construit telle une tragédie à l’antique (avec ses unités de temps de lieu et d’action, l’omniprésence du fatum, les meutes dans le rôle des chœurs) ce film (récompensé au festival de Cannes) ira donc bien au-delà de la simple anecdote du cadavre encombrant et de l’aventure nocturne. L’incongruité de départ est exploitée dans ses ressorts "comiques" (la série de déconvenues auxquelles sont confrontés père et fils, jusqu’au plan final ….ne pas spoiler !) certes mais surtout "tragiques" . D’une part le film (noir) se veut universel ne serait-ce que par les thématiques abordées, traitées ou suggérées : relation père/fils, le combat entre la vie et la mort, le bien et le mal, mais en nous immergeant dans les bas-fonds de Casablanca, les milieux interlopes, en passant d’une station service désaffectée à une maison bourgeoise, le réalisateur nous fait découvrir un Maroc insoupçonné -loin des clichés pour touristes- où dans certains bars l’alcool coule à flot, où la guerre entre clans peut être mortelle, où sévit la prostitution masculine, où triomphe la délinquance, et d’où la femme semble exclue (seul le personnage de la mère, grand-mère que l’on respecte sera visible (immobile ou penchée elle est filmée telle une divinité archaïque) et à travers la relation père/fils éclate la prégnance des structures patriarcales -la virilité dans sa référence normative et ses excès ne se confondrait-elle pas avec l’animalité des …meutes ?
Masures, murs fissurés, tags racoleurs, immondices, chiens errants: c’est le premier plan. Un lieu où s’affrontent des caïds, leurs chiens tenus en laisse, dressés pour des combats ….clandestins…sont comme leur arme de dissuasion et leurs sbires exécutent les ordres, souvent contre leur gré. Ce que feront d’ailleurs Hassan et Issam, le père (ex taulard) et son fils : embarqués dans un sordide règlement de compte !! (Dib, un mafieux, après avoir perdu son chien dans un combat, et persuadé que le chien de l'adversaire a été drogué, est décidé à se venger ... et il embauche Hassan...) Des acteurs non professionnels Abdellatif Missouri et Ayoub Elaid les incarnent d’une façon à la fois déroutante et convaincante ! et dans leur comportement tout comme dans leurs (rares) dialogues, on devine une profonde " bonté" qui les rend sympathiques voire attachants !!!
Nuit mouvementée ! le rythme du film épouse la succession rapide des rebondissements ; nuit des peurs ancestrales de la damnation (images cauchemardesques qui s’en viennent hanter l’esprit du père) nuit teintée de religiosité et de mysticisme (la toilette mortuaire, les formules rituelles) nuit où s’inversent les rôles dans la relation père/fils, nuit dont l'obscurité va céder la place à la lumière aurorale et le plan final, faisant écho au tout premier, interroge sur la "circularité": serait elle purement formelle ou gage d'une pérennité en Absurdie ?
Ce qui frappe dans ce film c’est le traitement innovant de la lumière. Avec le chef opérateur Amine Berrada nous nous sommes dit que nous n’allons pas recréer un éclairage artificiel, que nous allons vraiment nous baser sur l’éclairage naturel de la ville. Les visages des comédiens sont très cinégéniques Du coup, parfois, il fallait juste les déplacer au bon endroit pour avoir une image très cinématographique. Et de fait dans le clair-obscur, où la peau brillante couleur ocre contraste avec la noirceur ambiante, ces deux anti-héros n’auraient-ils pas quelques affinités avec des personnages pasoliniens ??
Un film que je vous recommande
Colette Lallement-Duchoze