de Robin Campillo (Madagascar, Belgique, France)
avec Nadia Tereszkiewicz, Quim Gutiérrez, Sophie Guillemin, Charlie Vauselle
Début des années 1970, sur une base de l’armée française à Madagascar, les militaires et leurs familles vivent les dernières illusions du colonialisme.
« Vous venez d’atterrir dans le plus bel endroit du monde, la base 181, le lieu de tous les plaisirs, un vrai petit village gaulois, une famille ».
Une famille en effet!
Voici l’adjudant Robert Lopez (l’Espagnol Quim Gutiérrez), sa femme Colette (étonnante Nadia Tereszkiewicz) et leurs amis les Guedj (Sophie Guillemin et David Serero), ils ont préparé un déjeuner au soleil pour accueillir Bernard (Hugues Delamarlière) qui vient d’être muté depuis la France. On s'invite , on boit , on danse!
Oui un paradis terrestre que cette base avec sa piscine, son mess, le centre médico-légal , l’église, l’école, et surtout l’environnement !!! Une vie de « garnison » -il s’agit d’une base de l’aviation française- qui semble s’épanouir dans la dolce vita (sensualité à fleur de peau , corps filmés dans leur immédiateté sensorielle)
Mais vont apparaître, d'abord impalpables, des fêlures !!!
Et ce n’est pas pur hasard si le film s’ouvre sur Fantômette (personnage romanesque créé par G Chaulet, une gamine portant loup et cape noire doublée de rouge) cette justicière dont le fils de Robert et Colette, Thomas, lit (et simultanément « visualise ») les exploits. Le réalisateur a choisi comme principal angle de vue, celui de ce gamin (son double?) ; nous verrons les adultes à travers son regard, regard qui lui-même s’introduit subrepticement à travers des interstices de planches, derrière des vitres (jeu fantastique d’images déformées et d’ombres suspectes). Les parents (couple bancal devenu) l’autoritarisme et le virilisme du père, les relents de racisme, l’impossible relation entre la jeune ouvrière malgache et un lieutenant, tout cela se mêlerait-il (consciemment ou non) à la culpabilité du cinéaste d’avoir été fils de colon ?? (culpabilité qui éclate d’ailleurs en des formules percutantes dignes d’un philosophe).
Hélas ! certaines « scènes » sont comme surjouées visuellement (concomitance à l’écran de paroles ancrées dans le présent, de leur visualisation immédiate qui donne corps au récit, et abondance de flash-backs justificatifs) leur itération frôle le « procédé » et en voici d'autres beaucoup trop explicatives (soit une table en aragonite ; gros plan sur le plateau, la mère explique qu'il représente le paysage malgache.... dès lors vont se succéder des images aériennes sur la « géographie physique » de l’île !!!)
L’île a connu l’indépendance en 1960 (ce qui est rappelé dans le film) ; nous sommes en 1970 la France a perpétué 10 ans durant son emprise coloniale, à travers ces « expatriés » militaires, des « usurpateurs ». Le dernier tiers du film est le chant de la victoire. Les « autochtones » jusque-là invisibles ou relégués au rang de subalternes vont occuper le « devant » de la scène ; libération des manifestants, force du collectif, prises de paroles de leaders militants, tout est mis en œuvre pour célébrer la reconquête.
L’île rouge enfin débarrassée de ses « envahisseurs » ?
Foisonnant (abondance de détails suggestifs, festival de couleurs, rythme) audacieux (suggérer l’imperceptible, mêler ambiance crépusculaire celle de la nostalgie du never more côté colons et épiphanies solaires côté enfants), L’île rouge est un film que je vous recommande, malgré tous les malgré…!!
Colette Lallement-Duchoze