de Wissam Charaf (Liban 2022)
avec Clara Couturet, Ziad Jallad, Darina Al Joundi
Beyrouth, Liban, aujourd’hui. Ahmed, un réfugié syrien, et Mehdia, une travailleuse domestique migrante éthiopienne, vivent un amour impossible. Alors que Mehdia tente de se libérer de ses employeurs, Ahmed lutte pour survivre du commerce de déchets métalliques , il est touché par une maladie mystérieuse....
Un film "étrange" qui mêle tragédie, légèreté absurde et fantastique ; un film qui tient autant du conte que du réalisme social, politique et même géopolitique ; et pour en apprécier le bien-fondé surtout ne pas dissocier les différentes approches car c’est précisément sur fond de romance (venue de temps immémoriaux) que les réalités -résumées dans les 3 d du titre- vont émerger (la traite des employées de maison venues d''Afrique et d'Asie, le racisme antisyrien d'une grande partie de la population libanaise , dont les autorités tirent de substantiels bénéfices,- les trafics d'organes, le dénuement des camps de réfugiés, les pratiques inadaptées de certaines ONG et, au passage, une dénonciation de certains médias épris de scoop misérabiliste….dans un esprit mercantile).
Menue frêle elle claudique, il la soutient même en l’absence du bras protecteur. Des rues de Beyrouth désertées (ici comme dans les films de Tati la vie humaine est évacuée, place à la fable) aux camps de réfugiés, des intérieurs d’appartements aux quais de l’embarcadère, des vues en contre plongée (Ahmed arpente seul la rue , son cri Fer, cuivre, batteries est à la fois un cri de survie et un chant d’amour, elle l’attend elle l’entend) aux plans plus larges voire panoramiques des contrées environnantes (une partie du film a été tourné en Corse cf générique de fin) voici l’histoire de Mehdia femme de ménage éthiopienne, et d’ Ahmed, ferrailleur syrien qui a survécu à l’explosion d’une bombe. Ils s’aiment. Une romance racontée à la manière d’un Keaton (voire d’un Kaurismaki ?)
L’humour et les excès (cf les pleurs de Mehdia quand une Sri lankaise risque de lui "voler" sa place d’employée de maison) les fausses références à la mythologie (Ahmed filmé tel un demi-dieu comme auréolé d'un prestige quasi surhumain) les métaphores multiples accolées au métal (métaphore de la guerre qui contamine le corps, la peau du ferrailleur qui se métamorphose littéralement sous nos yeux ; éclats de bombe, pourrissement et douleur de l’exil,) les passages insolites du sordide au " merveilleux" (cf la parenthèse enchantée dans un palace ou tout simplement le gourbi transformé en couche de verdure luxuriante comme hors de l’espace et du temps, qui abrite en les enserrant les amoureux, cf l'affiche ) l’irruption "contrôlée" du fantastique (à l’apparition sur l’écran de télévision de Nosferatu répond en écho l’ombre portée sur les cloisons de l’appartement quand le colonel, -par mimétisme ?- ne s’aventure pas dans la chambre de l’employée pour… l’égorger avant de gémir tel un enfant « au secours je suis tombé » ) tout cela est mis au service d’une aventure amoureuse confrontée aux pires menaces, aux pires situations mortifères.
Mehdia, Ahmed ! Un couple à la croisée de « chemins » (sociétal sentimental et religieux quand bien même la foi chrétienne de Mehdia est plus proche de la religiosité) dans un film qui nous aura entraîné -et pour notre plaisir- dans les sentiers de l'humour et du fantastique, de la sensualité et de la mélancolie …. comme pour mieux appréhender le " réel " !!!
Colette Lallement-Duchoze