de Cyril Schäublin. (Suisse 2022)
Avec Clara Gostynski, Alexei Evstratov. Valentin Merz
Titre original: Unrueh
Festival Angers premiers Plans 2023 Grand prix du Jury (section Diagonales)
Prix du meilleur réalisateur Berlinale 2022
Une vallée dans le nord-ouest de la Suisse, en 1872.Il s’agit de l’histoire de Joséphine, qui se fait embaucher dans une fabrique horlogère. On la forme à la production de l’axe du balancier (Unrueh), une pièce minuscule entraînant le balancement au centre d’une montre mécanique. Avant de recevoir son salaire et afin de financer sa nouvelle vie dans ce village, elle emprunte de l’argent à la banque du coin. Bientôt en désaccord avec l’organisation du travail et la répartition des biens au sein du village et de l’usine, elle rejoint le mouvement local des travailleurs anarchistes des horlogers, la Fédération Jurassienne. Elle y fait la connaissance du lunaire Piotr, issu de la communauté des gens du voyage russe. Errant dans les bois environnants, Joséphine et Piotr s’interrogent : Qui nous raconte nos propres histoires ? Le temps, l’argent, les dettes et le gouvernement ne sont-ils pas que des fictions ?
Un minimalisme formel, une utilisation innovante du « cadrage » (les personnages sont souvent à la limite et/ou au bord du cadre ; la verticalité plane en lieu et place des autres dimensions, plusieurs scènes semblent se dérouler simultanément) une certaine placidité (les infos qui circulent quelle que soit leur gravité sont proférées avec le même détachement) la longueur des plans fixes, le multilinguisme (avec cette fausse étrangeté que l’on répond dans une autre langue que celle utilisée par le "questionneur") des couleurs délavées, tout cela a de quoi surprendre voire dérouter. Ce film dont l’action se situe fin XIX° et qui par certains aspects (ouvrièr.e.s au travail en atelier, gros plans d’horlogeries, références à l’anarchisme) rappelle le documentaire, n’entraînera pas forcément l’adhésion du spectateur. Et pourtant !!!
Loin d’être un «exercice de style» ce deuxième long métrage de Schaüblin est éminemment politique. Après s’être documenté sur « la condition ouvrière » (Simone Weil 1909-1943) après avoir lu les mémoires de Kropotkine, le réalisateur va « juxtaposer » (de là naît une certaine étrangeté) scènes du XIX° « reconstituées » et interrogations sur la façon dont une société (fin XIX° ou début XXI°) traite le pouvoir, la distribution de la richesse, utilise la technologie (dans le film, la photographie l’horlogerie le télégraphe ) pour créer des identités nationales
La « mesure du temps » va métaphoriser l’ensemble. De très gros plans sur une montre, des horloges (dont on remonte le mécanisme) sur le système du « balancier » -Unrueh- (celui que Joséphine confectionne, et dans un long face à face elle en explique le précieux et redoutable mécanisme à Kropotkine ! qui écoute médusé comme si… le temps s’était arrêté !!)
L’heure est différente -fabrique, municipalité, église, télégraphe- chacun de ces lieux d’activités, d’identités et de références revendique sa légitimité ; que signifie dès lors « être à la même heure ». L’heure imposée par le patron doit-elle prévaloir sur les autres ? si précisément chaque seconde qui passe renvoie à sa valeur économique…Un intérêt majeur du film est de mettre en évidence l’absurdité de chronométrer un travail de précision !
Au spectateur d’établir la « passerelle (à défaut de la franchir) entre la société « reconstituée » et celle de notre présent !
Un film intrigant certes - que la présence de deux policiers (genre Dupont) irrigue d’humour …décalé (à la Tati ?) -,
Un film que je vous recommande vivement!!!
Colette Lallement-Duchoze