de Li Ruijun (Chine 2022)
avec Wu Renlin et Hai-Qing
Dans la campagne chinoise, province de Gansu. C'est l'histoire d’un mariage arrangé, entre deux êtres méprisés par leurs familles. Entre eux, la timidité fait place à l’affection. Autour d’eux, la vie rurale se désagrège…
Quelle grâce dans la disgrâce ! Quel émerveillement dans la réappropriation de soi par soi ! Quelle humanité dans cet univers rural que des potentats locaux tentent de désagréger au profit de … ! Oui le retour des hirondelles (le titre français est plus poétique que la simple traduction du titre anglais Retour à la poussière) ne peut que séduire. Le réalisateur ne verse jamais dans le misérabilisme (et pourtant, la rusticité d’un autre âge, la rudesse du labeur avec des moyens rudimentaires, s’y prêtaient) ni la violence (et pourtant elle est bien prégnante dans l’exploitation des faibles, dans leur vampirisation dont le « don du sang » serait la « métonymie », elle est tangible dans le comportement des propriétaires usuriers, dans les dépossessions successives auxquelles est soumis le couple !!)
Nous assistons au triomphe de l’humain -par-delà l’injustice liminaire et les tourmentes, avant que les dunes de sable n’enfouissent l’âpreté du réel dans leur tombeau. Un film irrigué par des forces contradictoires, et par une tendresse qui n’exclut pas l’indignation, car le réalisateur propose -pour ne pas dire "impose "- une vision très inquiète -pour ne pas dire "désespérée" du monde paysan (on comprend pourquoi le film a été « censuré », tant il va à l’encontre du discours politique qui prône la « fin de la pauvreté absolue », mais aussi parce qu’il démontre qu’un « damné » de la terre préfère le contact avec la nature au croupissement dans les « clapiers » modernes de la ville)
Voici un couple d’éclopés, de « parias ». Un mariage « arrangé ». Lui c’est Ma Youtie (Wu Renlin ) surnommé frère Quatre par les villageois moqueurs de la province de Gansu. « Vieux célibataire », il est contraint d’épouser Cao Guiying (Hai -Qing), une femme handicapée et incontinente, suite aux maltraitances infligées par sa famille! . Qu’à cela ne tienne ! le couple va se "construire" tout comme se "construit" leur maison, alors que démolitions et déconstructions sont programmées. La caméra les suit dans leur quotidien. Dans leur intimité -pudeur tendresse en lieu et place de contact charnel ; l’œil de l’objectif est devenu caresse, une caresse comparable à celle que prodigue le couple sur l’encolure de l’âne. En extérieur surtout, dans tous les travaux " agricoles" - retourner la terre, semer, récolter, etc. Rudesse du labeur dans des espaces arides sublimés grâce à la composition des plans (d’abord cadres dans les cadres puis élargissement en harmonie avec l'indéniable somptuosité de l'environnement) , le choix des couleurs (avec la dominante verte et ocre, ocre qui s’en vient contaminer la carnation des visages) et les effets de lumière (selon les moments de la journée ou les saisons).
Le réalisateur originaire de la région de Gansu (au sud de la Mongolie) aura assisté (et il nous aura entraîné dans son sillage) à une douloureuse destruction de la culture ancestrale, de cette osmose entre paysans et nature -incarnée par un couple de « parias » humble et aimant, déroutant de beauté fruste, un couple bouleversant, tout simplement !
Colette Lallement-Duchoze
Extraits du dépliant "ARP et GNCR présentent" (ARP= auteurs réalisateurs producteurs; GNCR = groupement national des cinémas de recherche)
"Le titre chinois du film signifie "caché dans le pays des cendres et de la fumée". Cela signifie que les époques passées les vies passées n'ont pas disparu. Elles sont tout simplement enfouies dans les cendres. Ce que nous ne voyons plus ne cesse pas pour autant d'exister"
Je retourne toujours filmer la terre où je suis né. Les deux héros de mon film viennent d'une campagne que les habitants ont désertée. Ils ont tous pris le train pour la ville. Mes deux protagonistes ont raté ce train"
"nous avons tourné le film au rythme des saisons, en suivant le cycle des cultures et des migrations d'oiseaux. Avec l'aide de l'acteur principal Wu Renlin, qui est mon oncle, de son fils qui joue le second neveu, ainsi que de mon frère et de mon père, nous avons construit la ferme et fait pousser les cultures jusqu'à leur moisson. Nous avons travaillé comme des paysans et consacré notre temps à la terre comme les héros du film. Nous avons tourné durant 85 jours de mars à octobre 2020. La pandémie a mis à mal notre production...