d'Ali Cherri ·(Soudan Liban 2022)
avec Maher El Khair, Mudathir Musa, Santino Aguer Ding, Abo Algassim Sir Alkhatim, Ayman Sharif, Hassan Hamza Ali Mohamad, Jacob Jorjia Garrang, Khamees Idrees Ibrahim
Présenté au festival de Cannes 2022 Quinzaine des Réalisateurs
Soudan, près du barrage de Merowe. Maher travaille dans une briqueterie traditionnelle alimentée par les eaux du Nil. Chaque soir, il s’aventure en secret dans le désert, pour bâtir une mystérieuse construction faite de boue. Alors que les Soudanais se soulèvent pour réclamer leur liberté, sa création semble prendre vie...
Non ce film n’est pas à ranger dans la catégorie « films qu’on peut voir à la rigueur » mais plutôt dans celle « à voir absolument »
Plasticien d’origine libanaise Ali Cherri s’intéresse à « la dialectique entre antiquité et monde moderne, nature et culture, catastrophe et reconstruction ». Dialectique qui préside à son long métrage « Le barrage »
Or, dès le tout début une vague indication (quelque part au nord du Soudan près du barrage Merowe) risque de bloquer les attentes d’un spectateur désireux avant tout d’analyse politique et pourtant….. Si les infos sur la situation révolutionnaire du Soudan livrées par la radio, ne semblent pas perturber le travail titanesque des ouvriers c’est parce que "les briquetiers soudanais, ne vivent pas comme des citoyens, explique le réalisateur, ils ont intériorisé un sentiment d’impuissance politique ; ont vécu toute leur vie sous un régime dictatorial ; le film rend compte de ce type de comportement". De même le personnage principal semble porter en lui et sur lui -comme un mal endémique-, toutes les douleurs secrétées par la terre et en premier lieu la guerre dévastatrice …Une seule séquence, la rétribution des travailleurs par un patron qui se soucie plus du "facies" que de la tâche accomplie, et c’est le racisme ambiant qui est " dénoncé" Si les conséquences sociétales et écologiques du barrage construit par des ingénieurs chinois ne sont pas explicitement abordées, elles sont toujours au premier plan ; tout est en fait suggéré, et ce sont bien les "traces" de la violence au Soudan qui se lisent, quand bien même elles semblent énigmatiques (au spectateur de se documenter !!)
L’essentiel il est vrai est dans les "énergies intérieures", dans cette densité poétique où tout a une dimension métaphorique (barrage intérieur, boue glaise, golem, interpénétration ciel et désert, blessure cicatrice) et dans l’orchestration souveraine des cadres et mouvements de lumière (avec cette dominante ocre), du réel et du fantasmé comme du refoulé et du surnaturel. Et quand la somptuosité « naturelle » s’estompe ce sont des images de synthèse qui prennent le relais (tableaux dans l'univers mental du personnage principal Maher El Khair, un ouvrier de la briqueterie qui régulièrement s’évade dans le désert ; un voyage aux confins du mystique et de l'artistique qu’illustre cette immense statue de glaise qui s’anime respire comme une divinité chthonienne et qui l’enjoint d’aller toujours plus loin dans sa quête) Dans la région où a tourné Ali Cherri on pratique l’afro-soufisme (mélange d’islam et de paganisme qui comporte beaucoup d’histoires de djinns)
Oui osons les épithètes les plus laudatives : graphisme splendide, forces vives -que sont le fleuve, le désert, le soleil, l’orage,- magnifiées tant dans l’intangibilité que dans l’explosion d’une puissance torrentielle, magnificence du rendu visuel et compositions savamment élaborées (voyez les courbes de ces corps, les jeux d’horizontalité et de verticalité, les longs plans fixes sur les bras travailleurs, sur les jambes dont les écailles épousent la terre/mère dans la fécondation de la boue, cette glaise créatrice et dévastatrice : boue malaxée triturée transformée, évaporée et qui s’en va mourant comme pour mieux renaître( ?)
A cela s’ajoute une partition (musique signée ROB Robin Coudert) qui joue « avec les éléments l’eau, la terre d’argile, le feu dans un mélange de sonorités lourdes et aériennes. Elle apparait parcimonieusement pour relater le périple du personnage dans le désert »
A ne pas rater!!
Colette Lallement-Duchoze