de Todd Field (2022 USA)
avec Cate Blanchett, Noémie Merlant, Nina Hoss, Sophie Kauer
Mostra Venise Coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine pour Cate Blanchett
Golden Globes 2023 Meilleure actrice dans un film dramatique pour Cate Blanchett
Lydia Tár, cheffe avant-gardiste d'un grand orchestre symphonique allemand, est au sommet de son art et de sa carrière. Le lancement de son livre approche et elle prépare un concerto très attendu de la célèbre Symphonie n° 5 de Gustav Mahler. Mais, en l'espace de quelques semaines, sa vie va se désagréger d'une façon singulièrement actuelle. En émerge un examen virulent des mécanismes du pouvoir, de leur impact et de leur persistance dans notre société.
ou (plus lapidaire)
Au sommet de la gloire, une cheffe d'orchestre voit sa carrière vaciller suite à des révélations sur des actes répréhensibles qu'elle a commis.
Le film s'ouvre sur une longue liste de noms, qui ressemble à un générique de fin ; puis en très gros plan les échanges SMS de deux assistantes dont un qui retient l’attention «ah bon elle [la cheffe] a une conscience ?». On est perplexe : tout ce qui va suivre a déjà eu lieu ? Est-ce un piège tendu par le réalisateur? Ou un mécanisme fondé sur "l'inversion"? Ou les deux ?....
De même que la longue interview, -après un panégyrique convenu – où Lydia étale avec aisance sa conception de la musique, ses connaissances très pointues et son bien-être; puis ces "petites mains" qui confectionnent un costume sur mesure ( !) destiné à la « star » plaideraient pour une hagiographie ….de façade !
Ce que va confirmer la construction en diptyque. Gloire et déchéance !
Mais il est un autre dérèglement amorcé avec les hallucinations auditives et concrétisé avec la venue de la jeune violoncelliste. Déraillement des sens, ouverture vers le fantastique, ce qui va de pair avec le déraillement du « sens » qui avait pu nous dérouter dès le début ; et la toute fin (dont on taira le contenu) a ce quelque chose de follement déjanté dans un décalage stupéfiant.
Tár : un faux biopic; mais si le personnage est pure fiction, les thématiques liées à l’exercice malsain du pouvoir dans le "milieu de la création", à tous ses abus condamnables, sont ancrées dans notre quotidien. (surtout depuis #MeToo)
Tár : un film sur une déconstruction (et une éventuelle reconstruction ? comme le suggère l’épilogue, Lydia/Linda dans le déni qui la caractérise si bien, s’octroie une autre vie !!)
Un film qui se prête à une interprétation plurielle ne serait-ce que dans le jeu des oppositions femme/artiste ; art/morale ; intime/public mais qui ne livre pas pour autant une "clé" (bien malin qui saura ce qui se cache derrière les sourires, le regard mouillé de Francesca, l’assistante qui a succédé à Krista, par exemple).
Refusons aussi cette facilité qui consisterait à exhausser la séquence avec l’étudiant, cyniquement rabroué (il n'interprétera pas Bach, à cause de sa misogynie), au rang de modèle de cancel culture
Incarnant un "monstre d’intelligence, de talent , de maîtrise de soi", un génie qui est aussi une "perverse narcissique et une prédatrice sexuelle", l’actrice Cate Blanchett "crève" littéralement l’écran. On peut souscrire aux propos de Todd Field qui affirmait avoir créé le rôle pour cette actrice !. Elle investit de sa superbe les espaces immenses où elle évolue (salle de concert, amphithéâtre, appartement cossu), filmée souvent en contreplongée comme pour accentuer le côté démiurgique manipulateur et marionnettiste du personnage triomphant! Chacun de ses gestes étudié avec précision obéit à une chorégraphie (mouvoir la tête, agiter les doigts, bouger avant-bras et bras, positionner le corps comme on positionne la voix) le visage est lui-même paysage (passant par toutes les nuances de la beauté à la laideur)
Un film à ne pas manquer !
Colette Lallement-Duchoze