de Rachid Hami (2022)
avec Karim Leklou,(Ismaël) Shaïn Boumedine (Aïssa) , Lubna Azabal,(la mère Nadia) Samir Guesmi (le père Adil) Slimane Dazi (l'oncle)
Aïssa Saïdi est un jeune officier de 23 ans d’origine algérienne. Lors d’un rituel d’intégration dans la prestigieuse école militaire française de Saint-Cyr, il perd la vie. Son grand frère Ismaël, le mouton noir de la famille, se retrouve à la pointe du combat pour l’organisation de ses funérailles
Une atmosphère glauque, poisseuse, une eau glacée, des vociférations, de difficiles apnées( ?), le démantèlement des corps – dans l’obscurité on peine à identifier les visages casqués , des bras qui s’agitent-, c’est la scène d’ouverture. Puis on apprendra - en même temps que le frère- la mort par noyade d’un de ces soldats « bizutés ». Dès lors la famille -d’origine algérienne- n’aura de cesse de faire prévaloir la dignité, une famille tiraillée par un dilemme (qui fut celui de la famille du réalisateur après la mort de Jallal lors d’un bahutage à Saint Cyr en 2012) : placer l’armée face à ses responsabilités tout en respectant le souhait du frère de rester associé à St Cyr. Un long temps de réflexion, de pourparlers que ponctuent les visites régulières dans la chambre froide où repose le corps mort d’Aïssa. Une mort qui aurait pu être évitée !!! Et c’est là que le rôle du frère Ismaël sera primordial. Un frère qui va entraîner le spectateur dans le flux de ses souvenirs. Le film se construit en même temps que s’opèrent les « basculements »
En optant pour un récit morcelé, un éclatement à la fois chronologique et géographique, grâce aux nombreux flashbacks, le réalisateur illustre des fêlures des fissures qui d’ailleurs vont aider Ismaël (et partant, le spectateur) dans ses prises de conscience.
Trois moments dans le récit, trois continents, trois pays (l’Algérie la France et Taïwan) trois âges (enfance adolescence et âge adulte) Et voici que s’élaborent différents portraits.
Celui de deux frères dissemblables, et ce, dès le plus jeune âge avec de notoires discriminations ; deux visions du monde ; deux formes d'adaptation Celui d’une famille dysfonctionnelle : le père Adil psychorigide et dans l’éducation et dans sa relation avec l’épouse Nadia -une femme instruite et indépendante (talentueuse Lubna Azabal !!), d’ailleurs il restera en Algérie après le départ de sa femme pour la France, avant de s’installer en Espagne !! Au final, celui d’une "difficile" adaptation/intégration à travers le parcours de quatre personnages musulmans d’origine algérienne
A l’issue de la projection à Angers lors du festival Premiers plans, le réalisateur Rachid Hami -entouré des trois acteurs- a bien précisé qu’il ne cherchait pas à faire un pamphlet, encore moins un brûlot politique: ni vengeance ni inquisition ni réquisitoire; mais une dignité qui force l'admiration! Ecoutons les propos du coscénariste Ollivier Pourriot : Pour éviter de réaliser un film plein de colère, nous nous sommes aussi inspirés d'une phrase d'Albert Camus. Qu’est-ce qu’un homme pour Camus ? C'est quelqu'un qui s’empêche, qui ne cède pas à son penchant, à ses désirs de vengeance et à son ressentiment. Contre celui qui déploie toute sa force pour aller vers la violence, un homme sait retenir son bras et transformer son geste en geste de retenue, ou même, en caresse
(Et si l'épreuve "initiatique" liminaire était aussi la métonymie de l'immense "bizutage" social, celui que l'on impose à qui cherche à s'intégrer ??)
Pour la France (titre délibérément ambigu) : une Odyssée familiale ? Certes mais centrée sur l’opposition névralgique entre deux frères que la « rencontre » à Taipei aura d’ailleurs réconciliés.
Pour la France : Une plongée dans l’envers du décor de l’institution militaire ? Oui mais sans manichéisme (ainsi le général Caillard interprété par Laurent Lafitte oppose son bon sens et son humanité aux arguments "écœurants" d’autres gradés militaires)
J’ai essayé de casser les clichés sur la famille magrébine et d’être juste sur l’institution militaire Un pari réussi ? Oui grâce à une habile mise en scène et à la qualité de l’interprétation (mention spéciale à Karim Leklou et Lubna Azabal)
Colette Lallement-Duchoze