de Dénes Nagy (Hongrie 2021)
avec Ferenc Szabó, Tamás Garbacz, László Bajkó, Gyula Franczia, Ernő Stuhl, Gyula Szilágyi, Mareks Lapeskis, Krisztián Kozó, József Barta, Aivars Kuzmins, Liene Kislicka
Ours d'argent du meilleur réalisateur - BERLINALE, 2021
Prix du Meilleur Réalisateur, Festival International du Film de Gangneung, Corée du Sud - 2021
1943, l’Union Soviétique est sous occupation allemande. Semetka, un paysan hongrois, est enrôlé comme sous-lieutenant dans une unité spéciale qui traque les groupes de partisans russes. En route vers un village isolé, sa compagnie tombe sur l’ennemi. Le commandant est tué, Semetka doit prendre la tête de l’unité... Va-t-il réussir à conserver son humanité ?
D'emblée le spectateur est comme happé par les choix esthétiques du réalisateur hongrois : paysages désolés, couleurs terreuses, miasmes morbides des marécages, dialogues réduits au strict minimum, visage impavide de Semetka au regard d’acier, lenteur calculée. Une esthétique qui peut rappeler celle de ses compatriotes Béla Tarr, László Nemes ou celle du Lituanien Bartas et que Dénes Nagy exploite pour évoquer un épisode méconnu (oublié ?) de la seconde guerre mondiale : après l’occupation de l’Ukraine par la Wehrmacht en 1941 des troupes hongroises -dans le cadre de l’alliance avec l’Allemagne-, ont eu pour mission d’éliminer l’activité partisane soviétique. S’il s’inspire du roman éponyme de Pál Závada, le réalisateur (dont c’est le premier long métrage de fiction) dit s’être « concentré sur 3 jours de 1943 » tout en « respectant l’esprit du roman »
Et voici le portrait d’un homme qui « ne comprend pas mais qui aimerait comprendre ». Il regarde, scrute, semble s’interroger mais …; pour illustrer cette constante hésitation voici des plans prolongés sur son visage impavide. La fixité des traits traduit-elle une tristesse face à l’horreur de la guerre ou face à l’inhumanité des supérieurs- ? ou plutôt comme chez Bartas le regard ne saurait se substituer à la parole muette ; même si on devine la volonté du réalisateur de pénétrer ces arcanes, Semetka semble regarder par-delà ce présent, vers un ailleurs qui se dérobe à l’écran et que, ce faisant, le spectateur ne peut capter.
Voici dans cette circulation de regards (soldats, vieillards, jeunes femmes, enfants) des zooms qui ne font qu’accentuer l’énigme des « ressentis » ; des visages de paysans parcheminés par le temps, des corps déambulant avec une lenteur élégiaque parmi les bruissements replis et anfractuosités de leur espace familier mais hostile pour qui vient s’en emparer et le dilapider !! Ou bien le geste supplée à la parole (mains qui se cherchent, fausse étreinte, offrande de baies sauvages).
Si Semetka est « humain » avec les villageois, s’il n’offense pas la jeune fille, ne poursuit pas les bûcherons, ni les gens du radeau (impressionnant travelling , au début, sur un élan mort), il « participe» à la spoliation de leurs biens d’autant plus criminelle dans un contexte de pauvreté extrême (ce dont témoignent les scènes d’intérieur aux lumières feutrées qui opposent la tablée des soldats qui se gavent éructent aux habitants assis apeurés affamés)
Millimétrée, au cordeau, la mise en scène ne peut que séduire voire subjuguer (même si, parfois trop esthétisante , elle n’a pas la puissance suggestive d’un Béla Tarr ou d’un Bartas). La photo avec ses teintes gris-vert, ocre -brun terreux, évidemment crépusculaire, peut rappeler certaines peintures Plans majestueux mais teintés d’effroi, où respire la matière tellurique du monde, plans serrés sur les humains, et gros plans sur les visages, lenteur des mouvements de la caméra, jeu spéculaire de mise en abyme (Semetka dispose d’un petit appareil photo, pour « immortaliser » des portraits), tout dans ce film participe d’une approche formelle de l’immobilité et de l’effacement (le tout dernier plan avec cette lente disparition du visage est d’ailleurs éloquent ) alors que l’absence de dialogues qui laisse parler le silence est à même d’amplifier le moindre son (certaines séquences y gagnent en intensité !!)
Un film à ne pas rater
Colette Lallement-Duchoze