17 janvier 2023 2 17 /01 /janvier /2023 06:39

de Martin McDonagh  (Irlande USA  2022)

avec Colin Farrell, Brendan Gleeson, Kerry Condon , Barry  Keoghan

musique Carter Burwell (connu comme collaborateur des frères Coen  a déjà travaillé avec McDonagh pour Three Billboards)

 

Golden Globes, meilleure comédie, meilleur scénario et meilleur acteur (Colin Farrell)

Mostra de Venise : coupe Volpi pour la meilleure interprétation masculine Colin Farrell

National Society of Film Critics Award meilleure actrice dans un second rôle Kerry Condon et meilleur acteur Colin Farrell meilleur scénario

Sur Inisherin - une île isolée au large de la côte ouest de l'Irlande - deux compères de toujours, Pádraic et Colm, se retrouvent dans une impasse lorsque Colm décide du jour au lendemain de mettre fin à leur amitié. Abasourdi, Pádraic n’accepte pas la situation et tente par tous les moyens de recoller les morceaux, avec le soutien de sa sœur Siobhan et de Dominic, un jeune insulaire un peu dérangé. Mais les efforts répétés de Pádraic ne font que renforcer la détermination de son ancien ami et lorsque Colm finit par poser un ultimatum désespéré, les événements s’enveniment et vont avoir de terribles conséquences.

 

Les Banshees d'Inisherin

« je ne veux plus te voir » décrète brutalement Colm à son "ami"  Pádraic. Ce postulat de départ n’est pas un caprice ; il va résonner comme le fracas de la guerre civile (qui restera hors champ),  transformer les paysages -malgré leur somptuosité et magnificence- en une forme de prison à ciel ouvert, permettre au réalisateur de mieux « cerner » cette petite communauté insulaire, contrainte de s’interroger sur une forme de finitude (du policier véreux à la postière avide de potins en passant par le tavernier débonnaire et  la « sorcière » la banshee de la mythologie celtique), d’opposer la « voix » de la raison (incarnée par la sœur de Pádraic) à la « folie » des habitants. Cette rupture insuffle des questionnements en créant un tempo et un crescendo – de la légèreté à la tragédie dont les étapes sont soulignées et illustrées par la prestation des deux acteurs Colin Farrell et Brendan Gleeson. Le premier incarne un être simplet qui se "nourrit" de la chaleur de ses bêtes, de l’amour pour sa sœur et qui progressivement va se "transformer", le second, violoniste (il est en train de composer « les banshees d’Inisherin) a décidé d'éliminer tout ce qui entrave  sa  "création" (dont l’amitié jusque-là partagée sans faille avec Pádraic). Ce film se prête  ainsi à une lecture plurielle (amitié, création, absurdité de l’existence, usure du temps) tout comme McDonagh mélange la noirceur (solitude, méchanceté) et la tendresse (relation entre le frère et la sœur, relation avec les animaux) ainsi que les tonalités (comédie fantastique et drame), tout en préservant les  "silences"  - la complicité muette avec l'ânesse et les deux chiens, et ces animaux   acquièrent, progressivement, une importance jusque-là insoupçonnée,  dans la confusion espace géographique et mental !!

Voici des statues de la Vierge elles cohabitent avec les croix celtiques, voici des falaises, des immensités balayées par les souffles venteux, des ciels tourmentés de stries orageuses ou embrasés de rouge, voici des maisons isolées,  une taverne. Voici le « fameux » idiot du village (seul à même de percevoir et/ou de comprendre l’indicible). Ces quelques éléments sont déjà porteurs d’une histoire que vient accentuer la présence récurrente d’une vieille femme toute de noir vêtue aux mains de Nosferatu, au bâton sablier (mais qui n’a pas la prestance suggestive de la Mort de certains autres films…). Les potins circulent comme la bière. Et les dialogues - du moins au début- sont savoureux… (cf la répétition de formules préfabriquées !!)

En interrogeant le fameux mythe de « l’artiste torturé » (interprété avec brio par Brendan Gleeson) le réalisateur invite le spectateur à prendre lui-même position : la création a-t-elle inexorablement pour corollaire la tyrannie ? et en l’occurrence doit-elle  anéantir l’amitié -Pádraic  "barbant"  est une entrave au parcours artistique, il faut s'en débarrasser!- Or cette question en maquille une autre : au confessionnal Colm avoue au prêtre qui vient de condamner ses automutilations  Je crois que je m'occupe en repoussant l'inévitable  

La cruauté comme exutoire à la détresse existentielle ?

Riche en questionnements, ce film frappe aussi par la maîtrise de la mise en scène et l’excellence de l’interprétation (mention spéciale outre les trois acteurs récompensés, à Barry Keoghan dans le rôle de Dominic, l’idiot)

 

Un film à ne pas rater !!

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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