de Saim Sadiq (Pakistan 2022)
avec Ali Junejo,(Haider) , Rasti Farooq, (Mumtaz,) Alina Khan (Biba) , Sarwat Gilani,(Nucchi ), Salmaan Peerzada (Rana Amannullah), Sohail Sameer,(Saalem), Sania Saeed, (Fayyaz), Sana Jafri
Cannes 2022 : Prix du jury Un certain regard
et Queer Palm 2022 (le prix LGBT+ du Festival de Cannes a été créé en 2010)
A Lahore, Haider et son épouse, cohabitent avec la famille de son frère au grand complet. Dans cette maison où chacun vit sous le regard des autres, Haider est prié de trouver un emploi et de devenir père. Le jour où il déniche un petit boulot dans un cabaret, il tombe sous le charme de Biba, danseuse sensuelle et magnétique. Alors que des sentiments naissent, Haider se retrouve écartelé entre les injonctions qui pèsent sur lui et l’irrésistible appel de la liberté.
Enveloppé dans un drap blanc un homme décompte « dix neuf huit » alors que des enfants se cachent ; c’est l’oncle Haider et ses neveux. Lui, marié sans enfant, vit sous le même toit que son père et la famille de son frère, lui l’homme au foyer (sa femme est esthéticienne), lui domestique rabroué par le père, doit prouver sa "virilité" en égorgeant un chevreau ….or sa main maladroite sera guidée par une autre main celle précisément de son épouse. Dès ces premiers tableaux le spectateur est perplexe. Le carcan du patriarcat volerait-il en éclats ? Le "cache-cache" : un jeu ou une tendance (forcée) à la dissimulation? Le drap par-delà sa fonction ludique (dénotation) désigne-t-il en connotation une existence fantomatique, et/ou renvoie-t-il au drap d’un suaire ?
Très vite on va comprendre les véritables enjeux de cette chronique familiale. Haider devra chercher un emploi, son épouse renoncer au sien (car il faut ...procréer). En s’inscrivant au cours de danse, le mari rencontre Biba une transgenre -dont il s’éprend. Une "femme" d’exception qui assume pleinement sa transidentité et qui sera son guide suprême dans la découverte puis la conquête de soi. Se désinhiber, se débarrasser du carcan, oui mais à quel prix !! c'est la dialectique de ce film!
Joyland s’intéresse ainsi au « destin » de trois personnages principaux : Heider, Mumtaz sa femme, et Biba, à leur solitude profonde due à l’impossibilité de conquérir leur liberté tant elle est jugulée au quotidien par des "interdits" comme autant d’impératifs sclérosants. Une lutte dont la seule issue serait la mort ?
D’autres membres de la famille incarnant des archétypes (le père, patriarche inflexible, le frère, mâle triomphant) assurent la pérennité des normes ancestrales, ce que dénonce avec vigueur mais sans militantisme affiché, le jeune réalisateur (cf la longue séquence où les discours "masculins" vont interdire à cette femme veuve de "reconstruire" sa vie amoureuse au nom de la "bienséance" !!!).
Rythme et couleurs (séquences musicales et dansées, couleurs franches chaudes le jour, scintillements la nuit) signent une partition qu’encadre et enferme le format 1,3. avec les jeux de plans rapprochés. L'alternance entre scènes de groupes (réunis pour la fête ou en famille pour délibérer avec gravité) et duos (l’enlacement romantique de Biba et Haider ou le face à face femme /époux) non seulement crée le tempo mais participe à ce qu’il est convenu d’appeler un film "choral" et par-delà le cadre d’une famille pakistanaise, le film fait entendre à un spectateur occidental la pulsation d’une ville, celle de Lahore, avec son centre d’attraction Joyland
Oui ce film étonnamment riche dans ses questionnements, ses remises en question et son esthétisme est un audacieux et courageux pied de nez à la société patriarcale du Pakistan !
Un film à ne pas rater !
Colette Lallement-Duchoze