de Youssef Chebbi (2022 Tunisie)
avec Fatma Oussaifi, Mohamed Houcine Grayaa, Rami Harrabi, Hichem Riahi, Nabil Trabelsi
présenté au festival de Cannes 2022 Quinzaine des Réalisateurs
Tunisie, dans les jardins de Carthage, un quartier nouveau où les constructions modernes se juxtaposent aux chantiers abandonnés et aux friches vacantes, le corps d’un gardien est retrouvé calciné au milieu d’un chantier. Batal, un flic d’une cinquantaine d’années est chargé de l’enquête, il est assisté par sa jeune nièce, Fatma, une femme de trente ans. Les enquêteurs commencent par interroger les ouvriers des chantiers voisins mais sont loin d'imaginer ce qui les attend réellement dans cette affaire...
Un film ambitieux qui tient du polar, du thriller politique et du film fantastique.
C’est par le feu (Mohamed Bouazizi se fit brûler devant la préfecture de Sidi Bouzid en décembre 2010) qu’a débuté la révolution tunisienne. Dans Askhar l’enquête de Tunis "le suicide traumatique" va jouer le rôle de déclencheur, de trame narrative, servir de support à une dénonciation politique avec des "envolées" fantastiques (carcasses de pierre aux allures de temples, spectres enflammés côtoyant les figures d’un pouvoir "toujours" corrompu , lumières incandescentes et ténébreuses !)
Un film qui de surcroît est placé sous le signe de la dualité : un duo d’enquêteurs (Batal habitué aux turpitudes de l’ère Ben Ali, et Fatma une jeune femme qui "découvre" …à plusieurs reprises son visage va envahir l’écran les yeux rivés sur un indicible à déchiffrer) ; une double enquête (celle sur ces corps calcinés : s’agit-il de meurtres ou d’immolations ? et celle de la Commission Vérité et Dignité présidée par un avocat, le père de Fatma, sur le passé de la police complice des crimes de la dictature) ; la double connotation du feu à la fois dévastateur et purificateur, un "double" regard -l’œil de la caméra relayé par les écrans de smartphone-, la caméra elle-même "rodeuse" et souvent "subjective" ; le quartier des Jardins de Carthage à la fois "décor" et "personnage"
En choisissant ce haut lieu promis à une clientèle de luxe sous l’ère Ben Ali, mais resté à l’abandon après la révolution de 2011, le réalisateur joue l’ambiguïté. La construction devrait "reprendre" annonce au tout début le texte du générique. Voici des bâtiments fantomatiques, des blocs de béton déserts, comme éventrés et donc propices à l’intrusion du "fantastique" ; tout comme leurs façades se prêtent à de lents travellings latéraux ou ascendants (lenteur excessive qu’accentue une musique intrusive). Les figures géométriques assez froides vont s’opposer à l’embrasement. Opposition esthétisante trop évidente et prégnante, d’autant que l’essentiel se passe la nuit (on est loin des images clichés sorties d'un catalogue), une nuit qui nimbe l’énigme, de ses propres mystères, tout comme le personnage encapuchonné -le pyromane tueur ( ?) investi d’une mission( ?) qu’on voit de dos, et ces portraits-robots dont l’aspect "farce macabre" est à la fois évident et énigmatique !
Une esthétique recherchée, un décor cinégénique empreint de mystères, un film aux multiples interprétations (comme le suggère le titre -ashkal étant le pluriel de "forme" "structure"), tel serait l’enjeu de ce premier long métrage (remarqué et récompensé dans plusieurs festivals) ?
Jouant constamment (trop) avec les connotations (foyer, combustion) Ashkal l’enquête de Tunis est devenu brasier
Au point d’emporter le spectateur dans le feu de la folie ?
A vous de juger ! l
Colette Lallement-Duchoze