de Kamila Andini (Indonésie 2022)
avec Happy Salma (Nana) Laura Basuki (Ino) Rieke Diah Pitaloka
Berlinale 2022 Ours d'argent pour la meilleure performance de second rôle pour Laura Basuki
INDONÉSIE, les années quarante, Nana a fui la guerre et l’occupation japonaise après avoir été séparée de son mari. On la retrouve quinze ans plus tard, elle a refait sa vie auprès d’un homme riche qui la gâte autant qu’il la trompe. C’est pourtant sa rivale qui deviendra pour elle une alliée à laquelle elle confie ses secrets, passés et présents, au point d'envisager un nouvel avenir…
Une mise en scène, en images et en musique qui obéit à la lenteur des perceptions et des émotions, lenteur et hébétude dans un contexte politique mouvementé -que l’on devine en filigrane- au service d’une émancipation célébrant la sororité ? Alors oui si vous aimez la lenteur chaloupée à la Wong Kar-waï (in the mood for love) les troublantes énigmes à la Apichatpong Weerasethakul (tropical malady, memoria), les confusions temporelles, spatiales, les passages fugaces entre rêve et réalité, n’hésitez pas ce film vous séduira. Dans le cas contraire il vous "ennuiera"
Voici le portrait d’une femme qui par-delà une vie matérielle très "confortable", une façon « d’être là » en tant qu’épouse soumise et mère aimante, "dissimule" ses tourments, ses angoisses et ses frustrations dans la sagesse d’un chignon !!! (cf l’affiche); d'ailleurs les scènes de lissage d’habillage des cheveux (Nana et son mari, Nana seule vue de dos cheveux éployés, Nana et sa fille Dais à qui elle confie le secret..) reviennent à intervalles réguliers : non seulement elles participent à la langueur, au rythme lancinant mais elles scandent les étapes vers la libération par un double affranchissement (l’asservissement d’épouse soumise ayant la même force corrosive que les cauchemars traumatisants)
Le film s’ouvre sur une séquence en forêt ou plutôt dans la jungle ; voix off et dialogues entre les deux sœurs se conjuguent, de même que Nana dans sa fuite avec son bébé, "voit" (imagine) le sort réservé à son mari. Couleurs pastel plutôt que vert sombre, comme un décor en trompe-l’œil ? et pourtant les arcanes d’une telle nature sauvage, la fuite et la perte, vont, par mimétisme, présider à celles plus intériorisées du personnage principal !!
Sans transition nous voici en 1960 -soit 15 ans après la scène inaugurale- dans une propriété cossue où dominent là aussi les couleurs pastel. Nana a désormais 4 enfants dont Dais (que nous retrouverons 10 ans plus tard dans l’épilogue). Cette partie centrale oscille entre douceur "apparente" et tacites compromis (quand le visage de Nana envahit l’écran on devine sous le masque de la « bienséance » et le sourire de « circonstance », les affres de l’épouse trompée, de la femme aimante fidèle à son premier amour). C’est dans les bras d’Ino devenue sa « confidente », dans un renversement des rôles salvateur, qu’elle éclatera en sanglots…Ino la maîtresse du mari, Ino la sœur de Nana dans le combat pour l’émancipation.
En filmant une femme à plusieurs moments de sa vie, en suggérant plus qu’en « démontrant », en recourant au hors champ pour évoquer les problématiques politiques liées à l’Indonésie (depuis l’occupation japonaise jusqu’au coup d’état de 1965 en passant par l’Indépendance, la création du PKI) la jeune réalisatrice aura rendu palpable la condition « d’une femme indonésienne » Et la lenteur l’accompagnement musical presque obsédant, une « doucereuse » torpeur, auront eu pour effet -ô singulier paradoxe- de mettre en exergue la violence du « pouvoir » patriarcal qui cadenasse toute velléité de liberté, quels que soient les propos lénifiants du mari
Tout cela n’exclut pas, j’en conviens, une forme d’académisme suranné (et peut-être de complaisance ?)
Un film à voir ! assurément
Colette Lallement-Duchoze