15 décembre 2022 4 15 /12 /décembre /2022 06:35

Documentaire réalisé par Jean-Gabriel Périot (2021) 

voix:  Adèle Haenel 

 

Cannes 2021 Quinzaine des Réalisateurs

 

Adaptant le remarquable récit de Didier Eribon, Jean-Gabriel Périot raconte l'histoire douloureuse et politique des ouvriers de France, grâce à un foisonnant montage d'archives reliant l'intime au collectif et la voix d'Adèle Haenel.

 

Retour à Reims (fragments)

 

Je suis frappé par ce que signifie concrètement, physiquement, l’inégalité sociale. Et même ce mot  "inégalité"  m’apparait comme un euphémisme qui déréalise ce dont il s’agit  : la violence nue de l’exploitation. Didier Eribon, Retour à Reims (2009)

En  "adaptant" le texte assez kaléidoscope de Didier Eribon, Jean Gabriel Périot choisit l’esthétique du fragment (cf la parenthèse) Son adaptation -« fragmentée » donc- laissera délibérément de côté l’aspect intime du « je » du narrateur  (le transfuge de classe, à l'homosexualité affichée et victime de l'homophobie du père) mais il en gardera la force idéologique,  à laquelle Adèle Haenel prête sa voix . Découpé en deux parties suivies d’un épilogue (qui est comme un "prolongement"  du texte de 2009) son film s’intéresse surtout au mouvement ouvrier des années 1950 à nos jours, à travers le portrait des parents de Didier Eribon et surtout celui de sa mère. Et la domination des femmes par les hommes comme entrave notoire à l’affranchissement,  à la « libération », se conjugue avec celle qui a contraint la classe ouvrière à plier obéir (une phrase, quel que soit le media choisi, revient en leitmotiv « mais que voulez-vous, c’est comme ça »)

Une voix off (féminine). Une sélection d’archives (films, images d’actualités, reportages, plateaux télévisés, documentaires) C’est le dispositif. Et quel dispositif ! Car la fluidité des passages d’une image à l’autre, d’une séquence à l’autre (effets du montage) donne au spectateur, guidé par la voix d'Adèle Haenel, l’illusion que les "personnages" qui évoluent sur l'écran sont  les membres de la famille Eribon, C'est le passage subtil de l’histoire familiale à une histoire "universelle" (et dès l'ouverture, en guise de prologue,  des plans sur des lambeaux d'architecture et de "paysages" cartographiaient un espace "humain / inhumain" )

Dans la première partie, la rencontre des parents dans un bal populaire du samedi soir, le harcèlement sexuel subi au travail, l’acharnement de la femme à subvenir aux besoins de la famille quand le père « claque » son argent dans les bars, la joie d’avoir enfin un appartement moins exigu même si les  "nouveaux" immeubles ressemblent à des clapiers, illustrent entre autres les réflexions du philosophe sociologue  Les lois de l'endogamie sociale sont aussi fortes que celles de la reproduction scolaire, et étroitement liées à celle-ci. ( La mère aurait souhaité être institutrice ; contrainte par l’institution elle sera employée de maison, épousera un ouvrier)

Dans la seconde partie,  quand l’auteur s’interroge sur le basculement du vote ouvrier (jusque-là majoritairement communiste) vers le Front national, voici des séquences (la victoire socialiste de 1981, les attentes les promesses, la période d’austérité, le discours de G Marchais sur l’immigration, ceux de Jean-Marie le Pen) suffisamment éloquentes pour  "illustrer"  ses propos : Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le vote pour le Front National doit s’interpréter, au moins en partie, comme le dernier recours des milieux populaires pour défendre leur identité collective et leur dignité qu’ils sentaient comme toujours piétinés […] 

Quant à l’épilogue, il mêle en un véritable feu d’artifice et sans voix off , le mouvement des gilets jaunes, nuit debout, me too transformant Retour à Reims   en un fragment de  Retour vers le futur ( ?)

Si la première partie est  plus "convaincante" (comment s’est structurée une classe ouvrière, c’est la thématique essentielle illustrée par un choix judicieux de certaines archives), il faut saluer l’admirable intelligence du cinéaste dans son traitement des archives. Ecoutons-le  "Toutes les images d’archives me parlent d’aujourd’hui, qu’importe leur datation. Je ne travaille pas sur la factualité des évènements mais davantage sur ce qui peut réunir des évènements en termes d’énergie contestataire, de révolte de violence ou d’enthousiasme"

Et c’est précisément à la croisée entre les  "mots" et les "images"  que surgissent dans Retour à Reims (fragments) l’Histoire déjà habitée par l’inconscient collectif et une Histoire ........en marche !

Un film à ne pas rater !

( attention nombre limité de séances !!)

 

Colette Lallement-Duchoze

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