de Darezhan Omirbayev · (Kazakhstan 2021 )
avec Yerdos Kanayev, Gulmira Khasanova, Klara Kabylgazina
Prix de la Mise en scène au Festival International du Film de Tokyo 2021
Prix de la mise en scène festival de Lisbonne & Sintra 2022
Prix du meilleur film section forum festival international du film de Berlin.2022
Didar est un poète enchaîné à son travail quotidien dans un petit journal. Mais à l’ère de la consommation de masse, rares sont ceux qui s’intéressent encore à la poésie. En lisant l’histoire d'un célèbre poète kazakh du 19e siècle exécuté par les autorités, il est profondément ébranlé...
Un film contemplatif, un film poème (qui joue avec les temporalités, mêle rêve et réalité, impose des récurrences formelles et musicales) un film qui se prête à une lecture plurielle sur la fonction, le pouvoir et l’avenir de la poésie. Mais aussi sur le devenir d’une langue et partant d’une culture voire d’un pays. (Un journaliste au début, dans la salle de rédaction où travaille Didar -qui reste muet-, prédit la "mort" de la langue kazakhe, chiffres à l’appui, en vilipendant l’uniformisation qui se profile !!!)
Comme certaines approches risquent de tomber à faux tant ce film est imprégné d’une culture très éloignée de la nôtre, (hormis le phénomène ravageur de la mondialisation et de la surconsommation) , contentons-nous de quelques remarques sur le parallèle entre Didar et Makhambet Utemissov (1803-1846)
Si le même acteur interprète les deux personnages, c’est que l’image précisément permet ce continuum – le parallèle entre la destinée des poètes, qu’ils soient du XIX° ou du XXI° siècle, est mis en évidence par un montage alterné. Une vie difficile : Didar vit chichement dans un appartement, Utemissov dans sa yourte isolée cultive la terre ; le premier va décliner une offre qui, financièrement serait alléchante, ( écrire la biographie forcément hagiographique d’un magnat), mais qui "faillirait" à son idéal de "pureté"; un idéal revendiqué par Makhambet Utemissov en plein régime tsariste, plus de 150 ans auparavant. La destinée post mortem ? D’abord oublié - enterré sans sépulture, -arbre mort dans l’immense steppe- dont l’image récurrente est l’équivalent d’un leitmotiv- le cadavre d’Utemissov sera exhumé puis enterré dans un mausolée (soit près de 100 ans après la décapitation). Fluctuations, récupérations au gré des "régimes", de leur idéologie et de la "fabrique" de l'opinion (les différentes dates inscrites à chaque fois au bas du cadre le prouveraient aisément!!)
Si le "hic et nunc" d’un poète est "misérable", l'auteur ne sera-t-il pas récompensé dans un avenir plus ou moins proche ??? Le "sacrifice" serait-il la condition sine qua non de cette reconnaissance ? c’est ce dont prend conscience Didar… La séquence "dramatique" où, invité pour une rencontre/lecture avec le public, il est confronté au vide d’une salle immense, résonne telle une prophétie. Alors que somnolant dans la couchette du train, il s’imaginait écrivain "à succès " (cf le tableautin ironique du tripot où une femme nue lit des poèmes, allongée sur une table)
Le bruit du roulement du train sur les rails, son martèlement répété, alors que Didar voyage de nuit, - il est attendu pour cette "fameuse" rencontre avec le public-, non seulement scandent la narration et créent un tempo, mais entraînent le spectateur dans un voyage dans le temps et surtout dans une conscience (le compartiment comme habitacle de la pensée, l’oreiller comme support à une rêverie), une musique répétitive qui, loin d’être simple bercement, aura permis d’appréhender la question cruciale du « in principio erat verbum »
Une mise en scène impressionnante voire "époustouflante" (couleurs et lumière, jeux des plans, répartition dans l'espace, cadrages, etc.) récompensée d'ailleurs lors de plusieurs festivals !!
Un film à ne pas rater !
Colette Lallement-Duchoze