de Lise Akoka et Romane Gueret,
avec Mallory Wanecque, Timéo Mahaut, Johan Heldenbergh
Festival de Cannes 2022 : Prix Un certain regard
Festival du film francophone d'Angoulême 2022 : Valois de diamant
Un tournage va avoir lieu cité Picasso, à Boulogne-Sur-Mer, dans le nord de la France. Lors du casting, quatre ados, Lily, Ryan, Maylis et Jessy sont choisis pour jouer dans le film. Dans le quartier, tout le monde s’étonne : pourquoi n’avoir pris que « les pires » ?
Lise Akoka et Romane Gueret sont des professionnelles du « casting enfants », mais pour leur premier long métrage, elles ont, affirment-elles, procédé de manière inhabituelle "aller d’abord à la rencontre de nos personnages avant même qu’ils ne soient écrits" ; à partir de cette « rencontre », des témoignages recueillis, elles créent une histoire, des « personnages » ; puis procèdent à un nouveau casting (collèges écoles foyers) à la recherche d’interprètes…Les 4 précisément du film « les pires » Et voici autour de Johan Heldenberg (Gabriel) le réalisateur, quatre jeunes Timéo Mahaut (Ryan), Mallory Wanecque (Lily), Loïc Pech (Jessy) et Mélina Wanderplancke (Maylis) qui vont tourner dans leur propre environnement une "fiction" proche de leur "vécu"; quatre jeunes dont le "naturel" le "talent fou", la gouaille, le parler ch’ti, la rage ou la placidité vous emporteront. Mention spéciale au duo Ryan Lily
Mais attention ! rien n’est laissé au hasard. Tout a été écrit avec une extrême précision ("tromper" sciemment en donnant l’illusion d’un réel proche du documentaire ?)
Non seulement les deux réalisatrices exploitent les procédés de la mise en abyme (film dans le film) mais jouent sur les "codes du documentaire" en filmant de "vrais gens" aux côtés d’acteurs, en fusionnant réel et fiction, vie et cinéma. Elles mettent en images et interrogations la fonction prédatrice du metteur en scène (Gabriel ose certaines confidences, Gabriel fait croire à une répétition alors qu’il filme, Gabriel éprouve un plaisir "sadique" ( ?) à obliger le jeune Ryan à simuler une crise (alors que précisément il en est victime) Vampirisation ? voyeurisme ?
A cela s'ajoutent réflexions et questionnements sur la fiction comme voie royale pour accéder au réel? sur l'accaparement de la misère à des fins prétendues esthétiques (la scène où Gabriel s'extasie devant le délabrement d'une façade en témoigne aisément), ce que dénoncent des associations qui mettent tout en œuvre pour que la population des quartiers "sensibles" ne soit pas (plus) stigmatisée. La séquence finale empreinte d'onirisme (un lâcher de pigeons géant, la main vigilante de la grand-mère de Ryan (Dominique Frot) leur donnerait-elle raison? A noter que le titre du film -dont le tournage se termine avec cette envolée- "A pisser contre le vent" est emprunté à une formule ch'ti A picher contre l’vint d’biss ou à discuter contre tes chefs, t’auras toudis tort » qui serait le "substitut nordiste" de "tu auras toujours tort"
En portant à l’écran un casting (ce sont les plans d’ouverture, plans fixes sur les quatre visages, sur le regard qui se dérobe ou affronte l’œil de la caméra et/ou celui du metteur en scène hors champ ) puis la préparation et le tournage d’un film, au cœur même d’une cité, les deux réalisatrices ont réussi à ne pas « stigmatiser » ni « glamouriser ». (Même si le titre "les pires" peut se parer rétrospectivement des " qualités" de son antonyme)
Un film méta ? (Comme on dit métafiction en littérature) Assurément
Bref, un récit en abyme mais si éloigné de ceux auxquels le cinéma nous a habitué (la nuit américaine, la référence par excellence) qu’il est devenu miroir (d’infinies contradictions) et non plus enchâssement serti d’esthétisme
A voir absolument !
Colette Lallement-Duchoze