de Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch · (Italie Belgique France 2022)
avec Luca Marinelli Alessandro Borghi, Filippo Timi, Elena Lietti, Elisabetta Mazzullo, Lupo Barbiero, Cristiano Sassella, Francesco Palombelli
Festival Cannes 2022 Prix du jury (ex aequo avec EO de Jerzy Skolimowski )
Pietro est un garçon de la ville, Bruno est le dernier enfant à vivre dans un village oublié du Val d’Aoste. Ils se lient d’amitié dans ce coin caché des Alpes qui leur tient lieu de royaume. La vie les éloigne sans pouvoir les séparer complètement. Alors que Bruno reste fidèle à sa montagne, Pietro parcourt le monde. Cette traversée leur fera connaître l’amour et la perte, leurs origines et leurs destinées, mais surtout une amitié à la vie à la mort.
Récit rétrospectif et introspectif, Les huit montagnes, est l’histoire d’une amitié née en 1984 (Bruno et Pietro sont alors des préadolescents) qui, malgré tempêtes bouleversements, ruptures -ou à cause d’eux (elles), ne peut que perdurer (on pense immanquablement aux aveux de Montaigne à propos de La Boétie « parce que c’était lui parce que c’était moi), Quête de soi à travers l’autre. Cet autre si différent (mode de vie, éducation), et qui devient l’alter ego. Deux vies qui s’entrecroisent -et la maison commune érigée sur une ruine, en recèle les puissants symboles-. Le format choisi 1,37 qui enserre les corps, à l’instar de ces montagnes prédatrices, les cadres dans le cadre (on croirait un tableau dira émerveillée une convive), les « trajectoires » qui éloignent ou rapprochent, tout le film semble construit comme la "maison" , une maison "mise en abyme" , tabernacle des pensées et souvenirs, des projets, "lignes" de crête (Pietro refera le chemin sur les traces de… découvrant à chaque étape un lambeau de ce qui fut le père…) lignes de fuite, effets de "miroir", narration éclatée avec force ellipses (en harmonie avec les brisures et ruptures de rythme qui auront marqué les deux itinéraires)
Cette histoire d’amitié ( le film est l'adaptation du roman de Paolo Cognetti) se pare de la légèreté et/ou de la rudesse de l’environnement, celui des pentes alpestres de la région d’Aoste, principalement. Montagne dont la majestuosité peut être dévastatrice dans sa puissance vorace d’engloutissement (sens propre et figuré) ; montagne que sublime le chef opérateur Ruben Impens (jusqu’à l’excès, parfois…) alors que le thème musical (piano) invite le spectateur à la contemplation, et que les deux protagonistes incarnent une problématique existentielle Tout quitter pour se (re)trouver ou s’ancrer pour se construire
Si la première partie a le charme de la "découverte", obéit au rythme du vivant, du devenir (Bruno et Pietro ne cessent de courir dans les pâturages, accaparent le lac pour leur baignade ensoleillée, etc…un été le père de Pietro sera le "guide" d'une randonnée à valeur épiphanique ) la deuxième souffre de quelques longueurs -ou de complaisance-, alors que dans la troisième s’opposent les forces -apparemment -antagonistes de construction et déconstruction, mais qui scellent l’indéfectibilité du lien, avant que ne se profile un déchirant épilogue !
Luca Marinelli (que nous avions vu dans Ricordi ? Martin Eden, la grande belleza, une affaire personnelle) donne au personnage de Pietro (adulte) la "consistance" attendue de tout récit introspectif grâce à son charisme, son regard de transparence romantique et son jeu qui jamais ne force le trait, bannissant toute effusion inutile!
Et tout en restant hors champ le fantôme du père continue(ra) à hanter les lieux (hymne à l'amitié, ode à la nature, le film est aussi un vibrant hommage à des figures tutélaires !)
Le titre?
À l’intérieur d’un cercle se trouvent huit montagnes et huit mers, et au centre une grande montagne : l’axe du monde dans la mythologie hindoue. "Qui en a vu le plus ? Celui qui a fait le tour des huit montagnes et des huit mers ou celui qui est au centre ?" Telle est la question que pose, graphique à l’appui, Pietro de retour du Népal à son ami (« retrouvé ») Bruno ; ce dernier bien que fortement imbibé répond qu’il est « au centre » et que forcément Pietro…Or ce même Pietro (voix off, celle qui nous aura accompagné) en vient au final - qui est aussi le terme d’un récit initiatique- à contester ses choix !! La mythologie hindoue aura-t-elle eu raison de cette farouche détermination à "sortir de soi vers un ailleurs". Toujours toujours recommencer ?
Un film que je vous recommande
Colette Lallement-Duchoze