De Stefan Ruzowitzky (Autriche Luxembourg 2021)
Avec Murathan Muslu (Peter Perg) , Max von der Groeben (Komissar Paul Severin ) Liv Lisa Fries (Dr Theresa Körner) Matthias Schweighöfer (Josef Severin) Marc Limpach (Polizeirat Victor Renner) Miriam Fontaine (Anna Perg) Margarete Tiesel (la concierge)
74ème Festival de Locarno (août 2021) Prix du public
Vienne, 1920. Après l’effondrement de l’empire austro-hongrois, Peter Perg, soldat de la Grande Guerre revient de captivité. Tout a changé dans sa ville, où le chômage et les pulsions nationalistes prennent chaque jour un peu plus d’ampleur. Il se sent étranger chez lui. Soudainement, plusieurs vétérans sont brutalement assassinés. Touché de près par ces crimes, Peter Perg s’allie à Theresa Korner, médecin légiste, pour mener l’enquête. Au fur et à mesure de ses découvertes, Peter se retrouve malgré lui mêlé aux évènements et doit faire face à des choix cruciaux dans un chassé-croisé aux allures de thriller expressionniste.
En situant son intrigue en 1920 le réalisateur opte pour une esthétique expressionniste, rendant ainsi hommage à ses devanciers Robert Wiene, Fritz Lang, Murnau. Il va d’abord tout filmer sur fond bleu puis il rajoutera la ville, grâce des effets spéciaux. Le résultat ? tous les décors numériques imposent à l’écran une ville tortueuse avec des façades distordues, des perspectives tronquées, au service d’une atmosphère glauque (fonds verts dominants).
Et ce travail esthétique, ce style pictural, Stefan Ruzowitzky le met en parallèle avec l'univers mental d’un ancien lieutenant de l’armée austro-hongroise, prisonnier de guerre en URSS, qui, à son retour, est dans l'impossibilité de "reconnaître" Vienne, de "se" retrouver dans "sa" ville. Tout a été "chamboulé", tout lui semble déformé déséquilibré. Voyez ces gens, gueux misérables, agglutinés dans la rue, ces immeubles qui effraient par leur apparente instabilité ; lui-même, déboussolé, arpente les rues, le corps et le visage comme "décalés" (changement d'échelle, de proportion et de perspective)….D'autant qu'il appartient désormais à la catégorie des "vaincus", des "humiliés" et que la "virilité" inhérente à l’esprit de la guerre est non seulement bafouée mais provisoirement ou définitivement abolie!!
C’est dans ce contexte que sévit un tueur en série obnubilé par le chiffre 19, trucidant ses victimes - les "compagnons" de Perg, d'ailleurs-, après leur avoir infligé d’atroces souffrances, (lui-même avouera être "mort depuis longtemps" ; quant à son identité - ne pas spoiler- c’est le twist final !!!). Précieuse sera l’aide de la médecin-légiste Theresa Körner qui sollicite le soutien de l'ex flic Peter Perg, dans la résolution des crimes !!
Or les atrocités de la guerre que lui et les siens ont subies, les traumatismes et leurs inévitables séquelles, tels des stigmates indélébiles, la haine de l’autre, le sadomasochisme, l’émergence d’extrémismes dans cet environnement sordide à la poisseuse densité, sont comme les prodromes d’une autre conflagration !!! et les questionnements sur les sacrifices et les choix à faire en temps de guerre, sur la vengeance en temps de paix -le tueur à un moment placera Perg face à un cruel dilemme ! même s’ils paraissent alambiqués, n’en sont pas moins salutaires !
On peut être séduit par cette esthétique (annoncée dès le prologue par un tableau de Kokoschka) et accompagner Perg dans cette plongée quasi hallucinatoire – où tout sens logique dans notre perception de l’espace semble annihilé-, tout en "affirmant" (mais ce n’est qu’un point de vue) que la bande-son est surdimensionnée, que les plans prolongés sur les mutilations, les cadavres, sont complaisants et que l’exercice, de par son artificialité même, peut pécher par ostentation
Cela étant, Hinterland vaut, à n’en pas douter, le déplacement !
Colette Lallement-Duchoze
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