de Cristian Mungiu (Roumanie 2021)
avec Marin Grigore, Judith State, Macrina Bârlàdeanu...
Compétition officielle Cannes 2022
Synopsis. Quelques jours avant Noël, Matthias est de retour dans son village natal, multiethnique, de Transylvanie, après avoir quitté son emploi en Allemagne. Il s'inquiète pour son fils, Rudi, qui grandit sans lui, pour son père, Otto, resté seul et il souhaite revoir Csilla, son ex-petite amie. Il tente de s'impliquer davantage dans l'éducation du garçon qui est resté trop longtemps à la charge de sa mère, Ana, et veut l'aider à surpasser ses angoisses irrationnelles. Quand l'usine que Csilla dirige décide de recruter des employés étrangers, la paix de la petite communauté est troublée, les angoisses gagnent aussi les adultes. Les frustrations, les conflits et les passions refont surface, brisant le semblant de paix dans la communauté.
A l’instar de Matthias, le personnage principal, qui scrute l’IRM du crâne de son père, le cinéaste dans RMN (IRM en français) radiographie sans complaisance un village et par extension son pays et l’Europe des années 2020 Peinture acide d'une "dégénérescence" la xénophobie, des dysfonctionnements de l’UE, et critique acerbe du machisme.
Transylvanie ; terre d’accueil et d’invasion ; là cohabitent Roumains Hongrois Allemands ; là s’entremêlent plusieurs langues…(dans le film pour le sous titrage, une couleur correspondra à une langue). Pourtant l’équilibre est bien précaire dans ce village reculé où l’autre est stigmatisé. C'est l’arrivée de trois travailleurs étrangers, des Sri-Lankais, noirs de surcroît, qui va exacerber le racisme. On retiendra ce long plan séquence fixe de plus de 15’ : une réunion municipale, animée par le maire (qui a pris le relais du curé) plus de 20 personnes vont s’exprimer ; on éructe des relents identitaires, on est fier d'avoir expulsé les Gitans, on fustige la politique de l’Europe, le rapport à l’écologie et on en vient aux mains !!! Le spectateur, conscient de la montée du populisme qui sévit dans tous les pays de l’Europe, conscient aussi de la violence de la politique européenne ultra libérale assistera à une dissection sans appel de l’impasse économique face à la mondialisation Comme dans Bad Luck banging or loony porn de Radu Jude, c’est de la multiplicité des voix (même si le film n’est pas choral) que doit jaillir "la" -ou du moins "une" vérité ; un personnage, Csilla, lutte (du moins en apparence) contre préjugés et intox, mais elle-même obéit à certains diktats pour obtenir l’aide financière de l’UE
Une grande partie du film a pour cadre la forêt (d’un bleu froid glaçant) : dans cette région de Transylvanie, on a réintroduit les ours (un Français représentant d'une ONG qui doit compter les ours… se fera vertement rabrouer lors de la réunion !!!). Dans la scène liminaire nous suivons Rudi, l’enfant qui emprunte une sente enneigée pour se rendre à l’école, il s’arrête brutalement… qu’a-t-il vu de sidérant, cause de son mutisme et de ses angoisses ? …s’agit-il d’un ours ? c’est l’intime conviction de son père Matthias, qui va lui "apprendre" à ne jamais s’approcher d’un animal sans fusil. Certes la vision traumatisante a un tout autre contenu, mais l’interprétation de Matthias aura ainsi "préparé" le spectateur à la séquence finale (sur laquelle on pourra gloser ad libitum). Message ? l’homme « un ours pour l’homme » ? Peut-être….
Ecoutons le réalisateur: Les thèmes que j'aborde dans 'R.M.N.' ne concernent pas seulement la Roumanie. Cette tentation de désigner l'autre et l'étranger comme les responsables de tous nos maux est une sorte de constante dans l'histoire et elle est ravivée aujourd'hui partout dans le monde avec les nationalismes belliqueux de toutes sortes. J'ai voulu dresser un portrait collectif à travers ce village et donner à voir un mécanisme sournois : comment certaines peurs conduisent au pire
Un pari réussi ?
J’en doute même si la problématique est traitée dans sa complexité, même si des scènes loin du dolorisme frappent par leur puissance suggestive (la scène liminaire de l’abattoir avec sa lumière blafarde et les sons mats des coups sur les bovins ; les séquences dans la forêt et le glacial bleu blanc) ou si d’autres plus intimes célèbrent le violoncelle de Csilla épousant la musique de in the mood for love de Wong Kar-wai
A vous de juger !!
Colette Lallement-Duchoze