De Jerzy Skolimowski (Pologne 2021)
avec Sandra Drymalska (Cassandra) , Tomasz Organek, (le mec) Lorenzo Zurzolo :( Vito) Mateusz Kościukiewicz : Mateo Isabelle Huppert : la comtesse; Lolita Chammah : Dora ; Agata Sasinowska : Kaja ; Anna Rokita: Dorota; Michał Przybysławski : Zenek ; Gloria Iradukunda : Zea ; Piotr Szaja : le marié; Aleksander Janiszewski: l'huissier
Festival Cannes 2022 prix du jury
Prix de l'AFCAE : Mention spéciale
Cannes Soundtrack Award : Disque d'or pour Paweł Mykietyn
Le monde est un lieu mystérieux, surtout vu à travers les yeux d'un animal. Sur son chemin, EO, un âne gris aux yeux mélancoliques, rencontre des gens bien et d'autres mauvais, fait l'expérience de la joie et de la peine, et la roue de la fortune transforme tour à tour sa chance en désastre et son désespoir en bonheur inattendu. Mais jamais, à aucun instant, il ne perd son innocence
Moins un œuvre militante au service de la cause animale qu’une plongée dans les ténèbres si douloureuse soit-elle, une fresque où l’humanité est vue à travers le regard d’un âne, moins ascétique qu’ "Au hasard Balthazar" -dont il se réclame-, ce long métrage aux allures parfois de cinéma expérimental, est si audacieux et créatif visuellement, sa musique est si chargée émotionnellement (Paweł Mykietyn le compositeur a remporté le prix Cannes Soundtrack de la musique de films) qu’il renoue avec l’essence même du cinéma (laisser parler les images). Son pouvoir hypnotique, son mélange de réalisme d’onirisme et de fantastique, loin de nous faire braire (cf D Fontaine Le canard enchaîné) ne peut que sidérer d’autant que EO se prête à une lecture plurielle, et refuse l’anthropomorphisme
Après avoir été arraché -dans une douleur partagée- à sa compagne équilibriste, EO va traverser bien des contrées sauvages, -réelles ou imaginées-, filmées dans leur beauté primitive, de la Pologne à l'Italie, à pied ou en van, rencontrer bien des "propriétaires" , être la proie ou la victime expiatoire d’hommes aux motivations peu "humaines" ( l’équipe de foot aurait perdu à cause de lui, le pugilat transforme les humains en monstres primitifs), finir dans un palais italien, avant d’accomplir l’ultime étape d’un "chemin de croix" (une dernière séquence stupéfiante où la compacité des animaux effarés s'inscrit dans le rituel d'une mort ....annoncée!!)
Au plus fort de la "souffrance" et de l’absence torturante, ses "rêves" le ramènent à la scène originelle, et à la personne aimée, Cassandra ; le langage cinématographique va suppléer au mutisme et concrétiser sentiments supposés ou rêves insensés
Voici des plans (res)serrés sur l’encolure, des très gros plans sur l’œil hagard ou circonspect, où perle une larme, des cils à la gracile graphie, voici un corps comme sculpté, vu de profil, de face ou en travelling, une peau qui palpite, des pas récalcitrants qui refusent d’avancer, pelage naseaux oreilles qui frémissent sur fond de "braiment".
Voici sans transition le passage au rouge monochrome (celui de l’affiche et de la séquence liminaire) des anamorphoses, des surimpressions, des plans qui se « tordent », une envolée vers le fantastique -quand le corps mutilé dans son sursaut vers la Vie, devient un "canidé électronique" , ou que les flots par leur impétuosité dévastatrice rappellent le Déluge, par exemple
Des paysages parcourus et vécus comme autant de bifurcations dans ce "road movie" de quadrupède !!
Une fable hallucinée et hallucinante aux ruptures de ton à répétition, où le langage cinématographique a retrouvé son panache, et le cinéma son essence même !!!
Un film à ne pas rater !
Colette Lallement-Duchoze