De Stephen Karam (2021 USA)
Richard Jenkins , Jayne Houdyshell , Steven Yeun , Beanie Feldstein , Amy Schumer , June Squibb
TIFF Toronto international film festival
Au sein d'un duplex d'avant-guerre au cœur de Manhattan, The Humans suit le cours d'une soirée durant laquelle la famille Blake se réunit pour célébrer Thanksgiving. Alors que l'obscurité tombe à l'extérieur du bâtiment en ruine, des choses mystérieuses commencent à se heurter dans la nuit et les tensions familiales montent crescendo...
En adaptant sa pièce de théâtre (2015) Stephen Karam a su éviter les pièges du « théâtre filmé ».
Certes la profusion de dialogues, le décor unique et les longs plans fixes renvoient immanquablement au théâtre.
Mais en jouant constamment avec les premiers et arrière-plans (voire les profondeurs de champ) en décloisonnant l’espace, en le transfigurant (cf la fragmentation du visage dans et par le miroir brisé, la bouteille de bière comme prisme déformant du réel) ou en accentuant les failles (lents travellings et/ou gros plans sur la tuyauterie délabrée, sur des plaques de moisissure) le réalisateur entraîne le spectateur dans un « autre univers » : plus pictural (les couleurs en aplats ou le noir, les jeux de clair-obscur, les cadrages) plus cinématographique et "cauchemardesque" en harmonie d’ailleurs avec les "failles internes" des personnages. ( Saluons le travail sur la couleur du chef opérateur Lol Crawley)
On peut comparer cette démarche raconter autrement une œuvre à celle de Florian Zeller adaptant pour l’écran sa pièce de théâtre « the father »
Reprenons : la famille Blake est réunie pour fêter thanksgiving » (ou Action de grâce) dans le nouvel appartement de la fille cadette Brigid (Beanie Feldstein) et de son conjoint Richard (Steven Yeun). Le père Erik (Richard Jenkins) est d’emblée effaré par le choix d'un tel lieu d'habitation, tant le duplex est minable, (bruits insolites répétés venant du dessus, moisissures comme décorations murales, silhouette étrange aperçue par la fenêtre) ; impression partagée par sa femme Deirdre (Jayne Houdyshell), sa fille aînée Aimee (Amy Schumer) et sa mère Momo (June Squibb), - et la déambulation en fauteuil roulant dans l’étroit vestibule frise la catastrophe !!!!
Dans ce huis clos, les mouvements d’un niveau à l'autre du duplex (et son escalier en colimaçon), d’une pièce à l’autre, d’un personnage à l’autre vont scander la narration alors qu’au moment des agapes (le benedicite, l’inévitable dinde) les personnages assis, filmés de dos, de trois quarts ou de profil vont « révéler » leur être profond -et souvent au détour de remarques insignifiantes, de propos anodins, de prétendues réflexions existentielles ou de "confessions" (il en est de même dans le duo père/gendre ; mais la question formulée sur le ton de la plaisanterie "ne pensez-vous pas qu’être en vie devrait coûter moins cher" ? est loin d’être anodine, tant elle recèle un douloureux vécu)
Et voici qu’apparait en filigrane le contexte politique et social d’une Amérique encore « traumatisée » par le 11 septembre (cauchemars du père) d’une middle-class encore jugulée par la crise financière de 2008, en proie à des vicissitudes insurmontables (?) alors que se profile le spectre de la maladie et de la mort...
The Humans ou la défaite du "rêve américain" ?
Mutatis mutandis ne serait-on pas en droit de mettre en parallèle le huis clos, si propice à l’enfermement, avec la politique américaine du repli sur soi, outrageusement sécuritaire ?
Colette Lallement-Duchoze