de François Ozon (2022)
avec Denis Ménochet (Peter) Isabelle Adjani (Sidonie) Hannah Shygulla (la mère de Peter) Khalil Gharbia (Amir) Stefan Crepon (Karl)
Présenté en compétition au festival de cinéma allemand en février 2022
Peter Von Kant, célèbre réalisateur à succès, habite avec son assistant Karl, qu’il se plaît à maltraiter. Grâce à la grande actrice Sidonie, il rencontre et s’éprend d’Amir, un jeune homme d’origine modeste. Il lui propose de partager son appartement et de l’aider à se lancer dans le cinéma
Un plan sur les lunettes de Rainer Werner Fassbinder en "ouverture", une photo du cinéaste avec Hannah Shygulla en plan conclusif, le film affiche (avec une fausse candeur) la fascination de François Ozon pour l’homme et le cinéaste, le "Maître" qu'il a panthéonisé !
Adaptant « librement » « Les larmes amères de Petra von Kant » il fera la part belle au « tragique de l’amour » qu’incarne magistralement Denis Ménochet (un titan aux pieds d’argile, en son mélange de tyrannie et de douceur, de robustesse et de fragilité)
Mais imiter certaines postures et mimiques…du cinéaste disparu à l’âge de 37 ans, ne relève-t-il pas du pastiche gratuit ??
Hormis quelques (rares) vues en plongée sur la cour, et une scène de rue, l'essentiel du film est tourné dans un espace clos -ce qui n’en fait pas pour autant un théâtre filmé. On passe d’une pièce à l’autre -tout comme on passe d'un acte à l'autre- avec variation des angles de vue et des mouvements de caméra mais aussi des textures -passage des couleurs vives ou kitsch à des "tableaux" , ébauches dessinées, floutées ou feutrées.
Claustration et enfermement de la conscience? Enfermement comme prélude à l'asservissement ? Celui d'une passion amoureuse dévastatrice?
Petra, créatrice de mode éprise d’une apprentie mannequin est devenue Peter, célèbre réalisateur amoureux d’Amir jeune acteur au charme pasolinien ; la silhouette longiligne de Petra a cédé la place à un embonpoint assumé et fâcheux à la fois (c’est parce que je suis trop gros demandera Peter à son jeune amant qui cherche à s’émanciper de l’étreinte -emprise -amoureuse); Karin l’apprentie traitée en esclave sera Karl l’assistant victime de la tyrannie du « maître ». Et si les larmes ont délaissé le titre, elles imprègnent en revanche tout le film (regard humide de l’acteur dont le visage est souvent filmé en plan rapproché ou gros plan, larmes réelles de Denis Ménochet -dont la capacité à pleurer est bouleversante affirme Ozon ; larmes glamour qu’impose le personnage d’Adjani, en Sidonie Von Grasenabb, tel un fantôme narquois de l’époque hollywoodienne; larmes « rentrées » de Karl le témoin muet, dont la maigreur, le regard pénétrant et le statut de « souffre-douleur » contrastent avec la fougue irrévérencieuse et diabolique du « dominateur » ; visage éploré de la mère Hannah Shygulla berçant son « enfant » (juste après cette scène où Denis Ménochet fait valdinguer tous les oripeaux de l’anniversaire, insulte sa fille, sa mère et Sidonie ; séquence qui correspond au point culminant dans une tragédie avant le dénouement); et « l’amertume » est déclinée en son sens figuré ce qui précisément assure le "tempo" (après l’embrasement, l’humiliation; après la douloureuse déception, le ressentiment, Peter le manipulateur féroce et grossier est à son tour le manipulé désespéré)
Mais tout cela sans…un arrière-plan politique…(à la Fassbinder!!!)
Et que dire de certaines outrances? L’affiche à la Andy Warhol, annonciatrice de racolage, le portrait/poster d’Adjani/Sidonie, les photos à la Mapplethorpe de l’éphèbe, comme pour pousser à l’extrême les obsessions de Peter emmuré dans ses "fantasmes"; le jeu "maniéré" , "concevable" pour Sidonie, l'est beaucoup moins pour Amir; les interventions trop vaudevillesques de la fille, les effets spéculaires récurrents, la douleur hystérisée, tout cela participe d’une indécente artificialité – on sait que l’artifice est la marque de fabrique d’Ozon-, mais dans le contexte d’un hommage n’est-il pas équivoque ? contestable ?
Notre regard jamais ne sera foudroyé
Colette Lallement-Duchoze