De Dominik Moll (France Belgique)
coscénariste Gilles Marchand
avec Bastien Bouillon, Bouli Lanners, Anouk Grinberg, Pauline Serieys, Julien Frison, Camille Rutherford, David Murgia
Cannes 2022, section Cannes Première
À la PJ chaque enquêteur tombe un jour ou l’autre sur un crime qu’il n’arrive pas à résoudre et qui le hante. Pour Yohan c’est le meurtre de Clara. Les interrogatoires se succèdent, les suspects ne manquent pas, et les doutes de Yohan ne cessent de grandir. Une seule chose est certaine, le crime a eu lieu la nuit du 12.
Une nuit, un lieu, un crime (féminicide) une enquête
Apparente simplicité et pourtant…
D’emblée le spectateur est prévenu : la nuit du 12 -qui s’inspire du livre 18.3 une année à la PJ de Pauline Guéna- fait partie de ces enquêtes qui ne seront jamais résolues…Est-ce dû à leur complexité ? au manque de "moyens" dévolus à la police ? peut-être, sûrement !, et le film est émaillé de détails qui le corroboreraient…
Or le manque de moyens auquel s’ajoute la surreprésentation masculine ont souvent abouti à cette conclusion hâtive : si les femmes sont tuées, c’est peut-être, finalement, un peu de leur faute…. Après tout Clara -la victime brûlée vive- (Lula Cotton Frapier) avait une vie sexuelle assez dissolue…
Le film va démonter ce mécanisme en l’abordant frontalement ou par des moyens détournés.
La scène récurrente sur le vélodrome (où Yohan, l’inspecteur chargé de l’enquête à la PJ, nouvellement nommé, s’entraîne seul chaque soir) prouve que le parcours intéresse plus que la destination, de même qu’elle illustre une obsession (à l’instar du cycliste qui tourne en rond, le policier est hanté par la recherche du coupable puis par les motivations d’une telle barbarie) ; obsession qu’il résumera face à la juge (Anouk Grinberg), Il se raconte que chaque enquêteur a un crime qui le hante. Un jour ou l’autre, il tombe sur une affaire qui lui fait plus mal que les autres, sans qu’il sache toujours pourquoi. Elle se met à lui tourner dans la tête, jusqu’à l’obsession.
Cette double connotation imposera ainsi deux dynamiques qui vont rythmer le film !
Un "parcours" fait d’auditions, perquisitions, saisies, interceptions téléphoniques, réquisitions, qui met à mal certains a priori, voire certaines convictions, ancré.e.s dans le milieu de la PJ. Nanie (Pauline Serieys) la meilleure amie de la victime, plusieurs fois auditionnée, ne comprend pas que les enjeux "sexuels" obnubilent à ce point les enquêteurs alors que "les femmes sont les premières victimes de la barbarie des hommes dont personne ne s’inquiète des rencontres badines qu’ils vivent" ; une nouvelle collègue, Nadia (Mouna Soualem), énonce, avec un calme réprobateur, cette vérité d’évidence "la plupart des crimes barbares sont commis par des hommes or ce sont des hommes qui mènent les enquêtes" (il est des truismes qu’il est salutaire de rappeler !)
Une obsession : ces visages d’hommes ni tout à fait eux-mêmes ni tout à fait autres, défilant sur l’écran mental de Yohan ; et si chaque homme était suspect ?? Au cours de l’enquête et lors de sa réouverture trois ans après, Yohan (admirablement interprété par Bastien Bouillon) aura dû changer de "prisme" (tout comme il change de braquet…)
Alors oui ! Le film de Dominik Moll est plus qu’un polar
Une mise en scène souvent glaciale -traversée çà et là de boutades virilisantes ou de clichés avilissants-, des facies comme découpés au scalpel par des jeux de lumière (qu’il s’agisse des enquêteurs ou des personnes interrogées), une interprétation qui force l’admiration, tout cela (et bien d’autres choses) fait que la nuit du 12 -telle une fable funèbre enserre le spectateur dans un entrelacs de pièges progressivement déjoués, et telle une comédie humaine lui enjoint de dessiller ses yeux (à la pointe de cristal…)
A ne pas rater !!
Colette Lallement-Duchoze