26 juillet 2022 2 26 /07 /juillet /2022 05:01

court métrage de Louis Tardivier (2019 ) 18'

 

à voir sur KUB

 

 

L'oeil et la terre - KuB (kubweb.media)

 

Sur une île aride en proie au déchaînement d’un volcan, les deux derniers représentants d’une civilisation perdue cherchent tant bien que mal leur salut.

L'oeil et la terre

 

Magie, vie, chaos Commentaire du réalisateur Louis Tardivier 

 

L'histoire se passe sur une île, en vase clos. On ne dit pas s'il existe un ailleurs. La mer s'étend à perte de vue. Les personnages sont seuls au monde. Derniers vestiges d’une civilisation disparue sous une éruption volcanique. Si c'est cette éruption qui a parachevé la disparition de la civilisation, on comprend qu’elle courait à sa perte, qu'elle avait exploité jusqu'à la moelle ses ressources.

Enfermés à l’écart de la société, nos deux survivants ont ironiquement échappé à une mort certaine et globale. Ce point de départ s’inspire de l’histoire du prisonnier martiniquais Louis-Aguste Cyparis, miraculeusement rescapé de l’éruption de la montagne Pelée en 1902 car protégé par son cachot. Cette métaphore de l’enfermement se renforce quand ils découvrent que leur liberté ne fut que de courte durée puisqu’ils se trouvent à présent prisonniers de cette île-tombeau qui n’a plus rien à leur offrir. Ils ne peuvent que constater l'ampleur du désastre et discourir à ce propos tout en cherchant à fuir.

Conditionnés par ce comportement, ils continuent pourtant dans la même veine que leurs pairs ; face aux derniers vestiges d’arbres, ils ne s’émeuvent pas plus et reproduisent le même geste destructeur. Pour autant, ils développent une pensée et questionnent cette situation 

Un discours se construit entre l'homme et la femme autour de sujets philosophiques et prosaïques. Ce ping pong existentiel nourrit nos personnages et le sens du film. Chacun empruntant deux chemins différents. Pour se sauver, la femme va tenir la corde du rationalisme tandis que l’homme va décider partiellement d'orchestrer un retour vers le religieux et le mystique. Le film interroge ainsi notre rapport au choix, à la destinée et au hasard, à l’irrémédiable gratuité du réel dont l’absurde plaide en faveur de l’inexistence d’un Dieu. L’apparence des personnages, un visage/masque épuré aux formes géométriques et un corps humanoïde réaliste, exprime la dualité entre corps et esprit. Cette dialectique âme/corps s'ajoute au discours qui s’établit entre l’homme et la femme. À l’inverse de films apocalyptiques qui mettent en scène une humanité aux réactions pragmatiques ou héroïques face à un sort cruel, les personnages sont déjà passés dans le camp de l’analyse, sans nostalgie ni colère. Il y a de la tendresse, de la complicité dans le discours mais peu d'émotion. Tout est phagocyté par le mécanisme de la pensée. Dans son aspect à la fois grinçant et bucolique, le film nous amène dans un univers où rien n’est permis pour l’homme.

Le prisme de la marionnette nous permet d’élargir le champ des possibles, d’atteindre un récit dialectique, universel, un conte beckettien où le foireux côtoie sans relâche la gymnastique de la pensée et de la joute verbale existentielle. Le film rend compte de la puissance des éléments, de l’incompatibilité de l’appétit de l’homme face à la nature et de la vacuité de bon nombre de ses réflexions démiurgiques.

J’aime l’idée que l’homme puisse changer en un claquement de doigt, que ce soit par une révélation extérieure, ou par une prise en main de son propre destin. Les personnages, persuadés de leur salut, avancent inéluctablement vers un avenir incertain. Survivre plus intelligemment ou mourir avec lucidité.

 

 

L'oeil et la terre

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