de Chan-Wook Park (Corée 2022)
avec Tang Wei, Hae-il Park, Go Kyung-pyo, Yong-woo Park
Prix de la mise en scène Cannes 2022
Hae-Joon, détective chevronné, enquête sur la mort suspecte d’un homme survenue au sommet d’une montagne. Bientôt, il commence à soupçonner Seo-rae, la femme du défunt, tout en étant déstabilisé par son attirance pour elle.
Non ce n’est pas l’histoire qui est "compliquée", mais la façon dont elle est narrée et mise en images. A l’éclatement chronologique (recours aux analepses et prolepses) s’ajoutent les images mentales (le policier à partir d’un factuel imagine la « veuve meurtrière » tout en succombant lui-même à ce que Stendhal identifiait comme la « cristallisation »), la présence à l’écran de personnage(s) qui « logiquement » n’aurai(en)t pas dû se trouver là à ce moment précis. Des ruptures de rythme qui vont de pair avec des ruptures de tonalité elles-mêmes au service d’un mélange des genres (thriller comédie romantique humour ironie absurde).
Oui ce film très esthétique (sans être esthétisant) qui renouvelle les "codes" du thriller et ose avec auto-dérision des clins d’œil à Vertigo, aura bien mérité son prix de la mise en scène. Le geste répétitif -application de sérum dans les yeux desséchés par l’insomnie- à l’évidente métaphore- désembuer et mieux VOIR-, aurait dû alerter les critiques qui ne tolèrent pas d’être « bringuebalés comme des pantins » alors qu’il suffit de se laisser (em)porter par la vague, le tsunami ou tout simplement par les spasmes et soubresauts
Les prolégomènes inscrivent le film -avec humour- dans une page sociologique -la femme organise la sexualité du couple : une séance de rapports sexuels par semaine afin de lutter contre les maladies cardio-vasculaires ; pour elle des grenades afin de retarder la ménopause, pour lui de l’extrait de tortue pour fabriquer plus de testostérone…Lui c’est Hae-joon, un inspecteur de police, il exerce à Busan. Une ville où, semble-t-il déplorer, « c’est calme en ce moment » et voici comme à point nommé une affaire : mort d’un homme suite à une chute du sommet d’un piton rocheux. Accident ? meurtre ? on soupçonne la veuve ! Débute une traque où l’épieur est de plus en plus « déboussolé »!
La structure du film ? deux parties -à 13 ans d’intervalle-, mais traitées en « miroir » l’une de l’autre (et la seconde débute suite à la dépression de Hae-joon de n’avoir pas mené à bien la première enquête). C’est que précisément la binarité est au cœur de tout le dispositif. Voici deux êtres qui se fuient tout en se cherchant, voici deux genres -thriller et romance- qui se télescopent s’entremêlent ou se superposent. Voici des images coupées en deux (split-screen) ou à double sens, etc…
Et au final peu importe(ra) si Seo-rae est la double assassine car c’est bien de l’amour assassin qu’il s’agit, celui d’une vénéneuse dévoration -ou comment deux êtres que tout aurait dû séparer- seront consumés par l’amour dans son inaboutissement même ! Un amour suggéré avec pudeur qui jamais ne sera « nommé ». Et la « mise en scène » troublée troublante épouse habilement la confusion, dans un kaléidoscope d’images et d’errements (en arborescence) qui nous aura conduit de la montagne à la mer. Kaléidoscope où le smartphone pénétrant la psyché des protagonistes est devenu - même ensablé- le double de l’œil de la caméra dans l’enfouissement des êtres et des choses
Decision to leave un film à ne pas rater !!
Colette Lallement-Duchoze