de Blerta Basholli (Kosovo 2021)
avec Yilka Gashi Cun Lajci Aurita Agushi
Récompensé au festival Sundance par trois prix : grand prix du jury, meilleure réalisatrice et prix du public
A remporté l'Antigone d'or au festival du cinéma méditerranéen de Montpellier 2021
Le mari de Fahrije est porté disparu depuis la guerre du Kosovo. Outre ce deuil, sa famille est également confrontée à d’importantes difficultés financières. Pour pouvoir subvenir à leurs besoins, Fahrije a lancé une petite entreprise agricole. Mais, dans le village traditionnel patriarcal où elle habite, son ambition et ses initiatives pour évoluer avec d’autres femmes ne sont pas vues d’un bon œil. Fahrije lutte non seulement pour faire vivre sa famille mais également contre une communauté. hostile, qui cherche à la faire échouer
Un des thèmes récurrents du cinéma des pays de l’ex Yougoslavie est l’obsession d’un passé douloureux (Seconde Guerre Mondiale; guerre civile et l'épisode de Srebrenica en 1995, guerre du Kosovo) que certains réalisateurs traitent avec humour (cf la parade La parade - Le blog de cinexpressions), un mélange d’âpreté de réalisme (Téret Teret - Le blog de cinexpressions). Pour évoquer les « séquelles » de la guerre du Kosovo la réalisatrice Blerta Basholli s’inspirant d’une histoire vraie, celle de Fahrije Hoti, va explorer « le quotidien des femmes dont les époux ont disparu pendant la guerre du Kosovo »
Gros plan sur un visage inquiet ; un camion vient restituer les « restes » de ….. Bravant l’interdit Fahrije (car il s’agit de cette veuve) pénètre à l’intérieur, à la recherche de … Une scène d’ouverture toute en non-dits et nuances : l’épouse doit attendre - pour pouvoir faire son deuil - de savoir avec certitude ce qu’il est advenu du mari disparu …En écho à cette ouverture, vers la fin, ce sera la difficile, douloureuse identification : des lambeaux de vêtements, témoins des atrocités et seuls vestiges de ce qui fut une Vie !
En combinaison d’apicultrice, Fahrije a pris le relais de son mari. ; n’ayant pas sa dextérité, elle conclut chaque essai par une piqûre (gros plan avec l'effet spéculaire du miroir!). A la toute fin du film, une abeille glisse sur sa peau, l’effleure sans la piquer…Un apprivoisement, une conquête, une victoire !
La ruche ? ou l’économie de survie (créées par le mari les ruches étaient un atout financier mais le miel se vend mal ; et l’épouse décide de créer une petite entreprise ; fabrication artisanale d’avjar). La ruche ou la métaphore de ces femmes abeilles qui défient les obstacles (d’ordre économique familial idéologique) et dans la fraternité, la solidarité sans faille, avec pugnacité, se sont affranchies des préjugés qui les reléguaient au rôle d’épouse soumise. La ruche, une histoire de deuil et de résilience, à travers une destinée qui contient tous les destins de ces veuves de guerre capables de s’émanciper.
Couleurs froides, silence souvent glacial (cf la séquence de la douche du beau-père handicapé), le village Krushe e Madhe filmé en légère contre plongée aux couleurs de carte postale, voiture qui sinue vers la ville -avec ces allers et retours dictés par la volonté de survie, en parallèle à ceux entre passé et présent plus discrets mais ô combien signifiants, circulation des regards si éloquents dans le non-dit de la réprobation ou de l’acquiescement, tout dans ce premier film participe d’une réflexion sur le deuil et l’émancipation. Quand après un acte de vandalisme (une main perverse a renversé tous les bocaux d’avjar), Fahrije prend avec délicatesse les tessons, c’est à la fois l’image d’une vie lacérée déchiquetée et la farouche détermination à la reconstruire
L’actrice Yllka Gashi, par sa fausse impassibilité, et une surprenante constance de ses traits (hormis dans cette scène qui célèbre par le chant et les rires la victoire et dans cette autre en écho inversé où effondrée dévastée, Farije doit accepter l’inéluctable !!) incarne ce personnage à la fois humble et hors norme !
Un film que je vous recommande vivement
Colette Lallement-Duchoze