de Ferit Karahan (Turquie Roumanie 2021)
avec Samet Yildiz, Ekin Koç, Mahir Ipek, Melih Selcuk, Cansu Firinci, Nurullah Alaca, Mert Hazir, Mustafa Halli
Dans un pensionnat isolé dans les montagnes d’Anatolie, les élèves doivent obéir à des règles strictes. Une nuit d’hiver, le chauffage tombe en panne. Memo, 12 ans, demande à son ami Yusuf s’il peut dormir dans son lit mais ce dernier refuse par crainte du qu’en dira-t-on. Le lendemain matin, Memo est retrouvé sans connaissance.
Yusuf et son meilleur ami Memo sont élèves dans un pensionnat pour garçons kurdes, isolé dans les montagnes de l’Anatolie orientale. Lorsque Memo tombe mystérieusement malade, Yusuf est contraint de surmonter les obstacles bureaucratiques dressés par la direction autoritaire et répressive de l’école pour tenter d’aider son ami.
Le film s’ouvre sur la séquence de la douche- douche collective hebdomadaire, que surveille un personnel prompt à repérer la moindre incartade - prétexte pour exercer un autoritarisme forcené : en l’occurrence privation d’eau chaude et obligation de se laver à l’eau froide….Punition infligée à trois pensionnaires dont Mehmet sous l’œil réprobateur de son ami Yusuf. Ce long prologue filmé en plans serrés met en exergue dureté, maltraitance, coercition, relations fondées sur la peur.
Thématique majeure de ce film qui -tout en s’inspirant d’un douloureux épisode de la vie du réalisateur- donne à voir de façon prégnante et sensorielle une école de la cruauté. Le jeune acteur Samet Yildiz dont le visage filmé en gros plan envahit parfois l’écran ou dont le corps, minuscule virgule dans l’immensité enneigée, incarnera cette terreur au regard noir!
Voici un lieu doublement isolé du monde (par sa situation géographique et par une tempête de neige). Un pensionnat de garçons kurdes mais qui ressemble plutôt à une prison. Une prison dont le rythme quotidien est scandé par des rites, dans les lieux dédiés (dortoirs, salles de classe, réfectoire avec le bénédicité en l’honneur de l’État…). Et quand Mehmet est entre la vie et la mort, l’infirmerie où il repose - un simulacre que cette pièce minuscule et cette absence de médicaments !!!- devient un tribunal où s’affrontent les adultes, ces responsables potentiels qui se rejettent mutuellement la faute, alors que Yusuf, au chevet de son ami incarne la bienveillante sollicitude. Et ce contraste est si puissant dans ce microcosme, que les glissades à répétition sur le carrelage à cause de la neige fondue, que l’accumulation de contretemps pour faire venir une ambulance, ne sauraient provoquer le rire, c’est que le burlesque n’a plus sa place dans ce huis clos, réceptacle d’une tragédie
Un film aux allures de « thriller » glacial » -le parcours labyrinthique de Yusuf , son errance filmée à sa hauteur, la maladie mystérieuse de son ami Mahmet, les entorses au règlement, et au final ce récit dans le récit qui vient combler l'attente, tel ce point de suspension inscrit dans l'écran noir à la fin du prologue!!!…
Un récit aussi glaçant que l’environnement mais en osmose avec la stratégie du pays (former de futurs soldats au service de l’Etat ; un Etat qui d’ailleurs a effacé de la carte la notion de "région kurde" au profit d’Anatolie orientale -cf le cours de géo ). Une narration qui égrène ça et là des allusions ciblées (conditions de travail des professeurs, détournements de fonds, trafic de cigarettes, individualisme des parents...) comme autant d'égratignures (euphémisme) au système
Malgré quelques invraisemblances (température extérieure -35° MAIS aucun des personnages, ne porte coiffe gants cache-nez) et quelques difficultés à faire coexister fiction et documentaire- Anatolia est un film que je vous recommande (il vous reste 3 séances avant la fermeture de l’Omnia aux Toiles mardi 14 juin 23h59)
Colette Lallement-Duchoze