de Michelangelo Frammartino (Italie 2021)
avec Paolo Cossi, Jacopo Elia, Denise Trombin, Nicola Lanza
directeur de la photographie Renato Berta
Prix du jury Mostra de Venise 2021
Prix de la meilleure photographie Festival des Arcs 2021
Dans les années 1960 l'Italie célèbre sa prospérité en érigeant la plus haute tour du pays. En parallèle un groupe de jeunes spéléologues décident, eux , d'en explorer la grotte la plus profonde. A 700 mètres sous terre ils passent inaperçus pour les habitants alentours, mais pas pour l'ermite de la région. Les chroniques d'Il Buco retracent les découvertes et parcours au sein d'un monde inconnu, celui des profondeurs où se mêlent nature et mystère
C’est à une expérience visuelle sonore et presque métaphysique que nous convie Michelangelo Frammartino dans Il Buco : « film conçu pour être vu au cinéma dans l’obscurité de la salle avec d’autres. Plonger le public dans la même substance que les spéléologues » faisceaux de lumière dans l’obscurité (cf dépliant GR groupement national des cinémas de recherche) . Origine de l’homme ? origine du cinéma ?
Nous sommes de l’autre côté de l’abîme, à l’entrée du gouffre, de cette ouverture qui sépare le monde azuréen des profondeurs telluriques. Entrée dans la caverne platonicienne ?? Dans l’ovale du ciel comme pour s’y mirer (ou sonder l’inconnu) apparaissent des chèvres dont le bêlement semble répondre à un autre appel. Appel du bouvier assis près d’un arbre centenaire, la peau de son visage marquée par les ans fait corps avec celle de l’arbre. C’est sur ces deux plans que s’ouvre le film, dont la dynamique sera précisément la double exploration. (Tout en sachant que le personnage en surplomb est aussi le guide, la vigie). Montage parallèle entre le sort de cet ermite et la démarche des spéléologues : au cri de ralliement entre l’homme et l’animal répond celui des chercheurs explorateurs dans les espaces tortueux des fonds ténébreux, à la lente marche vers la mort fait écho l’avancée vers les tréfonds de la terre. De l’aveu même du réalisateur qui a fait sien le travail du géologue Ellenberger, il y a des similitudes entre l’intérieur de la planète et celui d’un homme. Et dans le contexte (le Pollino massif sud des Apennins frontière entre la basilicale et la Calabre) mais aussi dans les Alpes maritimes et le Piémont le rôle des bergers est capital
Eau qui suinte sur les parois, murs accidentés, lumières éclairantes portées sur les casques, paysages/reliefs en constante métamorphose, rouge vif d’un embrasement chtonien, comme une palpitation souterraine, corps qui doivent épouser les coudes, les goulots pour sonder un infini …Le spectateur ainsi plongé dans les « entrailles de la terre » va se perdre dans leurs méandres et métamorphoses! on est loin de la dichotomie noir/clarté ombre/lumière ; la nuit est devenue une substance que le réalisateur et son chef opérateur Renato Berta travaillent comme un matériau épais pour en restituer la dynamique interne
Ce qui n'exclut pas quelques pointes de malice. Une « saute de vent soudaine » et voici des feuillets qui volètent avant de tapisser l’herbe, les vaches testent, non ce ne sera pas un régal champêtre." A la une d’une revue voici le visage de Kennedy que l’on va « enflammer » pour éclairer la nuit…. Une télévision cathodique noir et blanc diffuse un reportage sur le gratte-ciel Pirelli à Milan, les regardeurs du petit écran en plein air ignorent la démarche des explorateurs… (à la verticalité médiatisée au Nord s’opposent, au Sud, méconnues, la profondeur et l’horizontalité)
Le schéma réalisé par le dessinateur topographe -sur une table sous la tente ou à l’air libre- indiquera la profondeur des lieux explorés : 687mètres. Oui il s’agit bien de la deuxième grotte la plus profonde du monde -le gouffre du Bifuto- découverte par Giulio Gèchhele et son jeune groupe de spéléologues originaires du Piémont en 1961)
Des nuages bas vont envahir lentement l’espace ; l'écran se mue ainsi au final en un linceul drapant la terre – une terre à jamais préservée?
Un film à ne pas rater
Colette Lallement-Duchoze