de Panah Panahi (Iran 2021)
avec Hassan Madjooni, Pantea Panbahiha, Rayan Sarlak, Amin Simiar
sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs Cannes 2021
Prix du meilleur film au festival de Londres
Iran, de nos jours. Une famille est en route vers une destination secrète. A l’arrière de la voiture, le père arbore un plâtre, mais s’est-il vraiment cassé la jambe ? La mère rit de tout mais ne se retient-elle pas de pleurer ? Leur petit garçon ne cesse de blaguer, de chanter et danser. Tous s’inquiètent du chien malade. Seul le grand frère reste silencieux.
Effet de mimétisme ? le premier long métrage de Panah Panahi ressemble étrangement par certains aspects à des films de son père Jafar Panahi : un dispositif qui réduit l’espace de liberté à l’habitacle d’une voiture (Taxi Téhéran - Le blog de cinexpressions) un habitacle-microcosme, une fluidité dans la vastitude des paysages traversés des chemins qui sinuent et des crêts à gravir. Trois visages - Le blog de cinexpressions
Sur le plâtre de la jambe de son père l’enfant a dessiné des touches de piano ; et tandis qu’il pianote virtuellement, et que l’on entend du Bach, le cadre s’élargit invitant de majestueuses montagnes …Somptuosité montagneuse que traversera le road movie tout en nous immergeant dans l’intimité d'un quatuor. Quatuor où chacun semble jouer une partition, où chaque membre semble incarner un prototype, un choix de vie, où le silence de l’aîné Farid en partance vers un ailleurs s’oppose à l’insouciance turbulente de son frère cadet, où la mère entre pleurs et rires peut tout autant chanter à tue-tête que garder secrets des non-dits, et ce faisant cette fiction familiale est comme un microcosme aux résonances sociologiques (portrait d’une famille iranienne « moderne ») et politiques (même si, et surtout si la politique n’est pas évoquée frontalement). Le titre, emprunté à Ray Charles, dit explicitement l’exil. Les chansons (reprises en chœur) sont celles de la période d’avant la révolution de 1979
Ce petit "théâtre ambulant" où l’on se joue la « comédie » (ne rien laisser transparaître, ne pas alerter le petit clown de frère sur les raisons d’un tel voyage, sur le "voyage" lui-même) s’affranchit de tout sentimentalisme, en optant parfois pour des dialogues extravagants voire surréalistes, (à l’instar de ce plâtre/emplâtre qui momifie la jambe du père ?) en jouant presque constamment avec l’explicite et l’implicite (à l’instar du régime ?)
Quelles sont les raisons pour lesquelles cette famille a banni les portables, a hypothéqué sa maison, vit dans l’appréhension d’être suivie ? nous le devinerons ; mais le plus important dans la fiction d’un road movie -de surcroît-, n’est-il pas le chemin(ement) parcouru ? et ici particulièrement l’interrogation sur les sentiments éprouvés au moment de quitter définitivement son pays ? (l’image dans le rétro de ces déserts et montagnes qui défilent illustre précisément ce que le conducteur Farid ne verra plus jamais….) "Il est mort?" demande (ironique?) le cadet quand il voit son frère tel un gisant... Et si l'exil était synonyme de mort définitive?
Hit the road serait aussi une « leçon de cinéma » : Comme s’ils étaient relégués à l’arrière-plan les problèmes de censure par exemple vont se fondre dans les paysages (avec ces jeux de lumière, ces moments d’assombrissement, ces bifurcations). L’alternance entre burlesque (le passeur masqué par exemple tout droit sorti de "comics") et tristesse (ces pleurs de mélancolie, sans dolorisme, qui perlent sur le visage de la mère) crée un autre tempo. La façon de filmer la voiture en fait un personnage à part entière ; l’émergence hors capot - hors enfouissement de "secrets "-, de cette silhouette, de ce corps en devenir, si empli de vitalité ne serait-elle pas le gage d’un futur plus solaire loin d'un présent que l’on est condamné à fuir ?
Un film à voir, de toute évidence
Colette Lallement-Duchoze