de De Jacqueline Lentzou Grèce 2021
avec Sofia Kokkali, Lazaros Georgakopoulos
Berlinale 2021
Première diffusion : 19-02-2022 (Exclusivement sur MUBI)
Lorsqu’une grave maladie frappe son père Paris, Artémis décide de rentrer chez elle en Grèce après quelques années d’absence. Sans s’y attendre, père et fille se lancent dans un voyage d’apprentissage et de révélation, annonçant un nouveau départ pour leur relation
Un film sur les flux, les mouvements et l’amour (et leur absence) annonce le prologue
Pour évoquer le moment fugitif de leur éclosion, leur surgissement leur évanouissement, leur sens qui se dérobe affleure et la permanence d’une incomplétude, la réalisatrice place son film sous le signe de l’astrologie (titre Moon comme référence à la cosmogonie) de la magie (des plans fixes sur des cartes de tarot vont scander la narration) et de la mythologie (le choix des prénoms : Paris serait-il à l’instar de son homologue légendaire grec, le déclencheur d'une "guerre", le conflit avec sa fille ? Artémis doit-elle à la déesse de la chasse et de la nature, associée à la lune, les fluctuations de ses sentiments ?)
Comme si les incertitudes les inconstances les intermittences venaient du fond des âges et que les réponses -aux 66 questions- devaient rester dans les limbes de l’indécidable....
La première séquence peut surprendre : voici des images filmées au caméscope, ( ?) datées de 1996, on entend des bribes de discussions ; on ne peut "identifier" ni les lieux, ni les personnages qui, d’ailleurs, sont absents du petit écran comme embué, lequel se confond bientôt avec celui du hublot Et pourtant Artémis est bel et bien à bord d’un avion qui la mène de Paris à Athènes où elle doit rejoindre un père, atteint d’une maladie dégénérative incurable, un père qu’elle connaît à peine…Le voyage comme Odyssée ? avec ces strates du passé comme filtres de la mémoire?
La relation père/fille oscille constamment entre rejet, rancœur et affection, parfois fusionnelle, entre mutisme et violences verbales, comme si la vraie maladie était moins celle qui paralyse le père que celle de l’amour (avec son cortège d’affects de sentiments fluctuants opposés voire contradictoires, ce qu’illustrent les regards, les zooms, les silences, les suspensions de la narration, l’intrusion d’images mentales ou de flash back, des déformations d’images et des discordances sonores), Comme si le motif de la maladie n’avait été convoqué que pour "contraindre" Artémis à retourner dans son pays d’origine, à se confronter à son passé et à ses attentes dans sa relation au père (avec le poids des non-dits)
Dans ce film, très riche en questionnements/dévoilements, jusqu’à cette scène finale assez inattendue !!-, nous assistons ainsi à une double "rééducation". Celle du père dans son cheminement vers un semblant d’autonomie, celle de la fille dans son apprentissage de la découverte de l’autre " Ça veut dire quoi être proche de quelqu’un" c’était sa question initiale (la première des 66?).. Si l’opposition entre la « paralysie » de l’un et la « bougeotte » quasi permanente de l’autre accentue -formellement- le contraste, on mesure les efforts d’Artémis pour mimer, s’adapter au rythme de l’autre et progressivement en « être proche », dans les deux acceptions de cette expression (ce qui n’exclut nullement les moments de refus catégorique). Une rééducation qui se double d'une recherche mutuelle de la vérité vers une forme de réconciliation.
Réconciliation qui frise parfois le burlesque : ce dont témoignent, entre autres, la scène de franche rigolade (dégustation côte à côte d’une glace) ou la réunion de la maisonnée afin de tester les capacités d’une infirmière bulgare …qui ne connaît pas la langue…
Réconciliation qui emprunte (et l'on comprend mieux le procédé de duplication présent dès le début du film) les chemins détournés des vidéos - les aveux du père -, comme si le recours à ce filtrage de la mémoire (avec éloignement dans l’espace et le temps) s’en venait "recadrer" l’énigme du présent
Un film que je vous recommande !
Colette Lallement-Duchoze