10 février 2022 4 10 /02 /février /2022 12:29

de Jan Ole Gerster (Allemagne 2019)

avec Corinna Harfouch, Tom Schilling, Rainer Bock, André Jung

 

 

 

 

Comme tous les autres matins, Lara débute sa journée par une cigarette et une tasse de thé. Aujourd'hui est un jour important : elle a 60 ans et c'est le premier concert de piano donné par son fils Viktor. Elle le soutient depuis ses débuts et se considère comme déterminante dans son succès. Mais Viktor est injoignable depuis des semaines et Lara semble ne pas être conviée à l'événement, contrairement à son ex mari et sa nouvelle compagne. La journée va alors prendre un tour inattendu.

 

Lara Jenkins

Comme dans Oh boy (cf Oh boy: 24 heures à Berlin - Le blog de cinexpressions) voici une « action » resserrée en 24 heures (unité de temps) une déambulation dans les rues de Berlin (unité de lieu) avec des pauses dans les lieux publics (dont les bars), et des  "rencontres"  fortuites ou provoquées. Mode ostinato ? avec le même acteur (Tom Schilling) comme figure  centrale  du fils.  A la recherche de  (pour l’étudiant désœuvré d’Oh boy)? ou la reconquête de ? (pour la mère, dans Lara,  ce qu’illustrerait la chanson interprétée par France Gall  Il jouait du piano debout !!!)

 

Une succession de saynètes, depuis le lever de Lara, l’intrusion fortuite de la police qui la sollicite comme témoin dans une perquisition, la rencontre avec le voisin, jusqu’à la soirée- concert et le triomphe  de son fils Viktor …en passant par la rencontre avec son ex professeur de piano. Et un dénouement en forme de twist ?

Lara est de tous les plans. Qu'elle  soit seule -plans américains, plans sur un  visage hermétiquement fermé ou filmée de pied en cap avec abondance de travellings latéraux, réduite à un être minuscule, comme  écrasée par la compacité des bâtiments qu’elle longe. Qu'elle soit en compagnie (avec le voisin, avec son ex mari, avec sa mère, aussi sinon plus acariâtre qu’elle, en tête-à-tête avec un fils qui... la fuit…) . Que  les cloisons l’enferment, ou que les jeux de miroirs décuplent son être-là et son reflet. Mais quel que soit le lieu, Lara ne semble jamais être à sa place (et les cigarettes qu’elle fume régulièrement, loin de la calmer, semblent  accroître son mal-être) comme si elle était rongée de l’intérieur, ou serait-ce le retour du refoulé qu’un manteau de couleur s’obstine à maquiller…ou l’au-delà du désespoir ?

 

On aura accès  par bribes (parcimonieuses) aux  sédiments enfouis:  Lara  a raté sa « carrière » de pianiste (à cause de la main gauche comme le prétendait son professeur ??), elle la jeune « ambitieuse », elle qui à 60 ans fait le bilan amer de ce qui a été et de ce qui aurait pu être, elle qui, castratrice et/ou trop exigeante,  a peut-être empêché de laisser s’éployer les « ailes de géant » de son fils unique, elle qui est « encore » capable de gestes les plus odieux (rompre l’archet du violon de Johanna, la compagne de son fils ; un geste cruel démoniaque qui rappelle celui d’Isabelle Huppert: pianiste dans le film de Michael Hanecke elle avait glissé des tessons de verre dans la poche de son élève…)

 Lara  la revêche, la psycho rigide qui aurait aimé par trop d'excès ou par procuration? ? De dévoilements en dévoilements, le personnage (admirablement interprété par Corinna Harfouch) ne saurait susciter  l'empathie  mais n'en reste pas moins un être attachant (ne serait-ce que par  les douloureux silences que le spectateur est invité à décrypter!)

 

Le film s’ouvre sur une scène de suicide avorté (du moins est-ce l’impression du spectateur quand il voit Lara de dos grimper sur une chaise et comme happée par  le vide de la  fenêtre ouverte…)  et il se clôt sur l’extraordinaire jeu de mains, dans la reconquête d’un talent ...."avorté"…. 

Si la journée est scandée par les "rencontres", par l’alternance entre gestes de  "bonté" (acheter tous les billets disponibles et les distribuer par exemple), et mutisme douloureux ou propos cassants, le parcours intérieur de Lara ne s'apparente-t-il pas à  un parcours initiatique ? à une "renaissance"  dans une solitude désormais consentie ?

 

Colette Lallement-Duchoze

 

 

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