de Nanni Moretti Italie 2020
avec Margherita Buy, Alessandro Sperduti, Nanni Moretti, Riccardo Scarmacio, Alba Rohrwacher
présenté en compétition officielle Cannes 2021
Une série d’événements va transformer radicalement l’existence des habitants d’un immeuble romain, dévoilant leur difficulté à être parent, frère ou voisin dans un monde où les rancœurs et la peur semblent avoir eu raison du vivre ensemble.
Tandis que les hommes sont prisonniers de leurs entêtements, les femmes tentent, chacune à leur manière, de raccommoder ces vies désunies et de transmettre enfin sereinement un amour que l’on aurait pu croire à jamais disparu
Austérité, classicisme, redondances, clivages générationnels plus ou moins éculés, partage « genré » des tâches, absence d’humour et de chaleur, certes il y a de tout cela dans le film de Nani Moretti !!! Et pourtant !
La structure (de 5 années en 5 années) avec ellipses -seules les conséquences patentes des épreuves subies seront illustrées- , le principe vertical -inclus dans le titre lui-même "trois étages" -, l’entremêlement, contingent mais nécessaire pour l'intrigue, des relations entre les personnages, tout cela fait que Tre piani est essentiellement un film sur la transmission -qu’elle soit idéologique identitaire morale- et sur la façon dont la génération suivante la reproduit ou s’en éloigne, et même dans les cas limites (Andrea) n’y aurait-il pas une part de déterminisme ? (c’est pour s’opposer à l’éducation psychorigide de ses parents, pour "tuer" (symboliquement) le père, qu’Andrea a choisi l’exil -entendons l’éloignement définitif. À l'heure où l'on parle beaucoup de ce que nous laisserons à nos enfants en termes d'écologie, on parle peu de ce que nous leur laisserons en termes d'éthique et de moralité. Chaque geste que nous accomplissons, y compris dans l'intimité de nos maisons, a des conséquences qui se répercutent sur les générations futures. Chacun de nous doit en être conscient et responsable : nos actions sont ce que nous laissons en héritage à ceux qui viennent après nous. » (déclaration d'intention)
Une transmission traitée avec férocité, on a l’impression d’assister au procès des pères, ce dont témoignent le diktat de Vittorio « choisir entre moi ton époux et lui ton fils », l’obsession « machiste » de Lucio -persuadé que sa fille a été « abusée » par le voisin ; ou encore l’absence de Giorgio qui accule Monica à la solitude d'épouse et de mère, -cause de sa folie !
Transmission traitée avec indulgence ou une certaine bienveillance (rôle de la mère, Dora, excellente Margherita Buy qui, après la mort de son mari, s’émancipe de sa tutelle dans la (re)conquête de son fils Andrea) . Le personnage de Monica (Alba Rohrwacher excellente elle aussi, comme à l’accoutumée…) mériterait à lui seul un commentaire particulier ; la folie de plus en plus perceptible (fantasme et onirisme traités avec un naturel désarmant effacent les contours désobligeants de la déraison) sera-t-elle léguée en héritage à Béatrice ? tout comme Monica l’a héritée de sa mère ?
La scène inaugurale, tragique, (Andrea conduit en état d'ébriété, il percute l'entrée de l'immeuble après avoir tué une passante), prélude à une déflagration généralisée était censée « fédérer» les destins des résidents mais les intrigues vont vivre chacune leur propre vie, avec leurs péripéties, à l’instar de certains feuilletons -. En écho inversé la séquence finale 10 ans après, marquée du sceau de la joie (un défilé de milonga) se prêterait à une lecture plurielle (respiration après étouffement, ouverture sur un monde plus radieux, opposition à la violence de ces manifestants d’extrême droite contre un centre d’aide aux migrants etc.. ?)
Alors que chacun des résidents semble partir vers son « propre » destin…
Le sourire de Sara qui accompagne sa fille à l’aéroport est éloquent (Fancesca ne se soumettra pas à la loi dominant/dominé qu'elle -même, "dominée", n'a pas su contester!)
Et le gros plan sur le visage d’Andrea où s’ébauche difficilement un sourire, face à sa mère, joue-t-il le rôle de « happy end » ? Peut-être …
La beauté discrète, celle précisément de l’angle mort d’une affection qui rend les personnages imperméables à leur souffrance, à la haine des autres, et à leur propre colère »- ne serait-elle pas in fine la qualité de ce film ? (inspiré par le roman d'Eskhol Nevo)
A vous de juger
Colette Lallement-Duchoze