D'Elie Grappe (Suisse France Ukraine ) 2020
avec Anastasia Budiashkina : Olga , Sabrina Rubtsova : Sasha , Caterina Barloggio : Steffi, Thea Brogli : Zoé, Jérôme Martin : Adrien , Tanya Mikhina : Ilona, Alicia Onomor : Juliette , Lou Steffen : Andréa
Prix SACD du meilleur scénario de la Semaine de la Critique, (Cannes 2021) "Olga" représente la Suisse dans la course aux Oscars qui s'achèvera le 27 mars 2022. Entre ces deux rendez-vous majeurs du 7e art, le film a raflé de nombreuses récompenses à Bruxelles, Hambourg, Rome ou Angers.
2013. Olga, une jeune gymnaste ukrainienne, quitte Kiev en pleine agitation politique pour la Suisse, le pays natal de son père. Dans ce « pays d’adoption », l’héroïne s’entraîne pour les futurs championnats d’Europe et souffre de savoir ses amis et sa mère, une journaliste d’opposition, combattre lors des événements d’Euromaïdan
La Suisse, explique le cinéaste, est le lieu où Olga est à la fois le plus en sécurité et le plus éloignée de ce qui se passe chez elle. La Confédération, au centre de l’Europe sans en faire partie, revendique une neutralité et une distance qu’Olga ne pourra jamais avoir ».
C’est précisément ce « grand écart » que filme le très jeune cinéaste Elie Grappe (né en 1994)
Avec virtuosité : les exercices d’entraînement font alterner la grâce des corps comme suspendus et les gros plans sur le visage d’Olga comme emprisonné dans le format 4/3 ; l’individuel et le collectif avec ses tensions. Aux tensions internes (concurrence émulation rejets) inhérentes ( ?) au monde « violent » du sport de haut niveau, répondent en écho les violences politiques, la répression dont sont victimes les manifestants à Kiev sur la place Maïdan en 2013. Ce qu’illustre le va-et-vient (peut-être systématique) entre images de la Place (images réelles d’archives) et images de l’entraînement en Suisse (fiction). Certains parallèles se veulent convaincants dans leur suggestivité même : la statue de Lénine que l’on déboulonne et le corps d’Olga suspendu à « sa » barre ; les fumées lacrymogènes de Maïdan et les sapins enneigés en Suisse, les coups de matraque et les « rondades flips saltos arrière » de la gymnaste athlète. Le va-et-vient peut se muer en fondu-enchaîné, une image progressivement s’estompe alors que l’autre apparaît, sur le même écran de portable qui aurait ainsi joué le rôle de « miroir »
La bande-son (parfois surdimensionnée) participe aussi de cette démarche. Ainsi la partition confiée à Pierre Desprats met en parallèle « claquements » des barres de la salle de sport par exemple et « détonations » de la place Maïdan. Elie Grappe dit s’être inspiré de l’histoire d’une violoniste ukrainienne qui, loin de sa ville au moment des « événements » de 2013, fut « imprégnée » par les images de la révolution jusque dans sa pratique du violon…Transposé dans une salle d’entraînement pour compétition, interprété par des athlètes professionnelles, le film va privilégier la puissance à la fois illustrative et suggestive des différents sons : à un moment précis nous suivons Olga qui retourne dans la salle après avoir « visionné » et entendu sur son portable les manifestations sévèrement réprimées, le corps vibrant habité par ces retentissements sonores !!
C’est que ce personnage éponyme est tiraillé.e entre passion personnelle et destin collectif. Entre sa lutte intime pour sa réussite personnelle de gymnaste exceptionnelle et le combat de son pays pour la liberté » Olga incarne à la fois une jeunesse déterminée, fière et pugnace dans le dépassement de soi (maîtriser le fameux jaeger ce mouvement complexe à la barre ; continuer seule l’entraînement malgré les recommandations médicales par exemple) et une figure de l’exil, loin de la lutte collective ou du moins celle que mène sa mère -journaliste d’opposition (l’image du visage tuméfié, perçue comme une ignominie, vécue comme une douloureuse atteinte dans sa propre chair, incite Olga à abandonner…Mais ..). Signalons toutefois que chez cette adolescente (à l’inverse de sa mère ou de Sasha) il ne s’agit nullement de « conscience politique ni de militantisme » : la révolution est vécue dans la sphère de l’intime (la mère la sœur l’amie et même la ville de Kiev) mais au bout de cette « double » expérience, l’adolescente sera convaincue que le « sport est politique » quoi qu’en disent ses « supérieurs » (dont l’entraîneur).
Un film singulier à ne pas rater !
Colette Lallement-Duchoze