de Arthur Harari (2020 Japon, France)
avec ENDŌ Yūya, TSUDA Kanji, MATSUURA Yūya, CHIBA Tetsuya, KATŌ Shinsuke, INOWAKI Kai, Issey OGATA, NAKANO Taïga, SUWA Nobuhiro, YOSHIOKA Mutsuo, ADACHI Tomomitsu, SHIMADA Kyūsaku, Angeli BAYANI et Jemuel Cedrick SATUMBA
Présenté en ouverture festival Cannes 2021 Section Un certain regard
Fin 1944. Le Japon est en train de perdre la guerre. Sur ordre du mystérieux Major Taniguchi, le jeune Hiroo Onoda est envoyé sur une île des Philippines juste avant le débarquement américain. La poignée de soldats qu'il entraîne dans la jungle découvre bientôt la doctrine inconnue qui va les lier à cet homme : la Guerre Secrète. Pour l'Empire, la guerre est sur le point de finir. Pour Onoda , coupé de tout avec ses hommes, elle s'achèvera 10 000 nuits plus tard.
Un film-gageure ! le cinéaste est français, les acteurs japonais, le lieu de tournage la jungle cambodgienne, et le sujet s’inspire d’une histoire vraie (cf le résumé). Son prologue correspond au retour du militaire en 1974 Odona sera donc un long flash back (couvrant les trois décennies de 1944 à1974) où la linéarité évidente - dont témoignent les encarts, la rédaction d'un journal de bord et les passages écran noir-, est entrecoupée çà et là de souvenirs et d’images mentales.
Un film qui refuse l’emphase et le spectaculaire. Certes la forêt frémissante est admirablement filmée -surplombs plans larges plans serrés-, mais sa touffeur et ses pluies diluviennes, ses anfractuosités sa luxuriance dévoratrice, si elles sont cinégéniques, sont exploitées par rapport à la psyché du personnage éponyme (à un moment lui-même camouflé devient tableau de verdure) et à ses relations avec les autres soldats (Onoda sera d’ailleurs le seul survivant, celui qui n’a pas dérogé au principe n°1 inculqué par le major Taniguchi lors de sa formation en 1944 « tu ne dois pas mourir »).
Onoda un anti-héros ? Son parcours débute par des échecs : jeune conscrit en décembre 1944, il est recalé de la formation de pilote de chasse et se révèle encore trop attaché à la vie pour finir kamikaze. Echecs qui engagent, à la fois son honneur et sa relation au père. Dès lors qu’on lui confie une mission (guerre secrète) il se doit de l’accomplir coûte que coûte (par obéissance et patriotisme) et la violence des exécutions (paysans philippins entre autres) s’inscrit dans ce schéma. Ne pas oublier que la longévité de sa mission, il la vit sur le mode expiatoire. Un tel héroïsme marqué par l’absurde se mue en son contraire… .à l'insu même du prétendu héros
A travers Onoda 10 000 nuits dans la jungle, le réalisateur met en exergue des thèmes à portée universelle -dont certains, le complotisme, l’embrigadement et l’obéissance, la méfiance quant à l’information, le rapport à l’étranger, la déconnexion vis-à-vis d’une certaine marche du monde ont une résonance particulière aujourd’hui !!!
Les tentatives pour convaincre le lieutenant Onoda que la guerre est finie, que le Japon a capitulé, que …et que…seront frappées d’inanité (les propos du père mandaté en 1950 pour aider son fils à comprendre que « les choses ont réellement changé depuis 1945 "? Tentative de diversion, telle est la conviction du fils…)
Une écriture dense, un style épuré, une interprétation brillante (Endo Yuya/ Odona jeune et Tsuda Kanji/Onoda plus âgé) au service d’un film qui propulse le spectateur dans « l’enfer végétal » certes mais surtout dans l'enfer d’une conscience.
Une immersion de presque 3h ! et l'on sort de la salle "subjugué" !
Colette Lallement-Duchoze